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Le Conte

Tout sur les contes

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LE CONTE<br />

temps, tout à fait actuel. Il est tantôt absent tantôt à tel point présent que son discours<br />

historique en est miné.<br />

<strong>Le</strong>s contes de Flaubert entreprennent la déconstruction du narrateur, la<br />

diminution de son statut réaliste, son rapport à la voix et l'espace de son texte 1 .<br />

L'espace même des contes, celui même où évoluent l'Histoire et la légende,<br />

est privé de toute stabilité. D'après Issacharoff, dans Hérodias, il existe une seule<br />

dialectique : celle du dedans (espace clos, enfermement, contrainte) et du dehors<br />

(ouverture, évasion). <strong>Le</strong> conte serait parcouru de mouvements d'extériorisation et<br />

d'enfermement (dont la voix prémonitoire et la prison de Saint Jean). Un cœur simple<br />

pour sa part se développe selon des processus de concentration et de rétrécissement<br />

(spatial, affectif) ; tandis que Saint-Julien dans son anonymat complet accuse des<br />

mouvements alternés de paralysie et d'élargissement 2 .<br />

Cette dislocation de l'espace, s'accompagne d'une désocialisation qui n'a pas<br />

son pendant dans les romans dont l'étoffe essentielle est constituée par un contexte<br />

social très travaillé. De là la disparition là où on s'y attendrait le moins, d'éléments<br />

qui auraient été certainement maintenus dans Madame Bovary ou Salammbô. C'est le<br />

cas de la description de la sœur de Félicité « Sa jupe en guenilles battait ses mollets<br />

rouges, des écailles gluantes argentaient sa camisole de tricot, un serre-tête pointu lui<br />

couvrait les cheveux. Elle ressemblait à Félicité. Mais était plus maigre, avec les<br />

dents pourries, l'œil bleuâtre et droit, et cet air soupçonneux qui appartient aux<br />

pauvres. »<br />

De même, le Paul d'Un cœur simple était « d'abord promis à un<br />

développement littéraire de jeune bourgeois gâté » : « lâche, conscient de sa lâcheté,<br />

la déplorant. Durant les séjours qu'il faisait chez elle, il prodiguait les serments, puis<br />

ayant obtenu son magot, décampait, les yeux secs 3 ». La sœur de Félicité subit le<br />

même sort.<br />

Ces divergences et ces refus montrent à quel point la narration des Trois<br />

<strong>Conte</strong>s pris globalement est instable. Il semblerait que cette caractéristique fût<br />

impossible à réaliser dans le discours romanesque, même flaubertien, du XIX°<br />

siècle.<br />

Il est clair que si, chez Flaubert, pendant les années 70, génétique et théories<br />

littéraires restent plus ou moins inchangées, la thématique, l'écriture, elles, évoluent.<br />

C'est que l'insertion massive d'une pensée mythique bouleverse toutes les<br />

autres catégories de l'écriture flaubertienne.<br />

Cette nouveauté est renforcée par le degré d'interpénétration auquel les Trois<br />

<strong>Conte</strong>s doivent leur sens profond. Ils sont, on l'a vu, à la fois indépendants et<br />

interdépendants.<br />

1 Une fois de plus, l'évolution culturelle y est sans doute pour quelque chose, comme le démontrent les<br />

préoccupations géographiques du narrateur, ainsi que la nouvelle notion d'espace qu'elles expriment. La<br />

géographie était soit dit en passant une science nouvelle, au XIX° siècle qui se développe surtout à partir<br />

de 1870. Il s'agit d'une science illisible pour les non-initiés. De là, l'attitude de Félicité.<br />

2 M. Issacharoff, « Hérodias et la symbolique combinatoire » in Langages de Flaubert.<br />

3 f° in Debray-Genette, art. cit. p. 104.<br />

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