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LE CONTE<br />
Et voyez le « Cric, monsieur Crac ! » - « Crac, monsieur Cric ! » de l'enfant et du<br />
vieux conteur dans le film Rue Casenègres.<br />
<strong>Le</strong> conte est scellé dans la vie immédiate. Et nul n'en a mieux dit le comment<br />
que Victor Hugo ne l'a fait des <strong>Conte</strong>s de Voltaire :<br />
« Remarque frappante, dans ses contes Voltaire rêve ; il pense d'autant plus. Il<br />
sort du réel pour entrer dans le vrai. Cette gorgée de chimère bue par sa raison<br />
la transfigure, et cette raison devient divination. Voltaire dans ses contes<br />
entrevoit presque, et entrevoit avec amour, la catastrophe finale du XVIII°<br />
siècle, catastrophe qui, historien, l'épouvanterait. »<br />
« Il sort du réel pour entrer dans le vrai » : voyez de même J. Lacan expliquer,<br />
chez l'enfant, le contexte où le chien peut miauler, le chat aboyer : « ainsi se forme<br />
toute pensée, en se déconnectant du réel ».<br />
C'est le point où le conte, comme le poème, se différencie du roman ou de la<br />
nouvelle : de leur effet de réel. Lorsque Gustave Kahn, dans la Vogue du 18 avril<br />
1886, inaugure la condamnation du roman qui sera reprise telle quelle, de Valéry à<br />
Breton, son premier grief est contre la représentaion de « l'allure ballante et triste de<br />
la vie. » Qu'il ait tort de le déprécier n'empêche qu'il a bien relevé ce fonctionnement<br />
du roman, du récit romanesque, qui est, comme la vie, un accomplissement sans<br />
retour. Ici, une observation grammaticale (relevée pour la netteté chez Flaubert) sera<br />
plus crédible et plus pertinente que des généralités.<br />
Flaubert a aiguisé une valeur du passé simple qui est non seulement un<br />
accompli, mais une figure de l'accompli, et qu'il distribue en discontinu comme<br />
signal du révolu et de la fatalité. Tel ce passé simple qui sanctionne la fin des<br />
mercenaires dans le défilé de la Hache, en clausule de chapitre :<br />
« <strong>Le</strong> Carthaginois, qui regardait penché au haut du précipice, s'en retourna. »<br />
Si l'Education sentimentale est principalement le récit de l'amour de Frédéric<br />
Moreau et de Marie Arnoux, les 400 pages de ce récit sont strictement enserrées par<br />
ces deux phrases-paragraphes :<br />
« Ce fut comme une apparition.<br />
Et ce fut tout. »<br />
L'épilogue qui suit ce constat radical du révolu est une débâcle du souvenir :<br />
l'ultime conversation de Frédéric et de Deslauriers congédie les personnages du<br />
roman, y compris Marie Arnoux, dans l'indifférence d'une récapitulation sommaire.<br />
Ce désengagement est tout à l'opposé de la permanence du sujet du conte ou de<br />
l'épopée.<br />
Ce n'est pas que le roman ignore toujours l'effet de conte. Flaubert, dans ce<br />
même dernier chapitre où les deux amis saccagent et abolissent leurs relations et<br />
jusqu'aux rêves de leur jeunesse (si bien morte qu'il leur faut « l'exhumer »), introduit<br />
brusquement le souvenir, par le présentatif qui porte son sceau (« C'était_ »)<br />
« C'était pendant celles [les vacances] de 1837 qu'ils avaient été chez la<br />
Turque. »<br />
Ce n'est pas un retour sur le récit, c'est un retour sur le sujet, (« Cest là ce que<br />
nous avons eu de meilleur »), qui explique le titre in extremis, en sauvant de la<br />
dérision de ce titre l'imagination de l'amour. C'est bien ce qui excite la rage des<br />
Barbey, - mais où par contre toucha juste la perspicacité de V. Hugo qui, remerciant<br />
Flaubert de l'envoi de son roman, se déclara saisi de sa tristesse, mais se proposa de<br />
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