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Ethique et sport en Europe<br />

34<br />

considération d’autres fins que lui-même, sans ailleurs à la fois spatial et<br />

mental.<br />

4. Dans Les jeux et les hommes, Roger Caillois, reprenant l’ouvrage Homo<br />

ludens de l’historien de la culture Johan Huizinga, définissait le jeu par<br />

sa liberté, sa séparation, son incertitude, sa légalité, son improductivité<br />

et sa « fictionnalité ». Quand il se penche sur le sport, il trouve une<br />

autre propriété qui est celle de la compétition. Il appelle cette propriété<br />

agon, le combat, parce qu’elle repose sur la règle et la mesure.<br />

Mais, là encore, cette détermination se retrouve dans W passée à la<br />

limite, « absolutisée » par le miroir grossissant de l’utopie, c’est-à-dire<br />

pervertie. L’agon devient polemos, le combat devient la guerre, et la<br />

<strong>plus</strong> tragique de toutes, puisqu’elle est la guerre de tous contre tous.<br />

5. Mais si le sport relève du jeu, il lui manque une dimension supplémentaire<br />

pour le circonscrire pleinement. Cette dimension, qui se trouve<br />

aussi dans W, y est également amenée à son <strong>plus</strong> haut degré d’incandescence<br />

: il s’agit de l’exercice physique, de l’activité ou de l’effort<br />

corporel qui constituent sans aucun doute le noyau central du sport, sur<br />

lequel se greffent les autres propriétés du jeu que je viens de rappeler.<br />

Or dans W, l’exercice physique est lui aussi étendu à l’ensemble du<br />

monde. Cette extension amène à une société tout entière déployée sous<br />

ce que Perec appelle « la <strong>plus</strong> grande gloire du Corps ». Dès lors, tout<br />

est désormais étalé dans une corporéité, une extériorité et une matérialité<br />

qui réduisent les hommes à de pures relations extérieures et « chosifiantes<br />

» parce que le retrait de la pensée, de la réflexion, de l’intimité,<br />

du secret, du sentiment, de l’intériorité n’existe <strong>plus</strong>. Il n’y a <strong>plus</strong> que<br />

des corps en mouvement, mus par ce que Hobbes et Spinoza appelaient<br />

leur conatus, et cherchant le seul accroissement de leur puissance<br />

qui transforme leur existence en un combat sans répit, sans pitié, sans<br />

signification. Dans un monde où les hommes ne sont <strong>plus</strong> que des corps<br />

réduits à la seule intensification de l’effort, il n’y a même <strong>plus</strong> de jeu ;<br />

il n’y a <strong>plus</strong> de personne humaine, <strong>plus</strong> de valeur, <strong>plus</strong> de perspective<br />

autre et <strong>plus</strong> de pourquoi : « nicht warum », comme le rappelle Primo<br />

Levi dans Si c’est un homme.<br />

Au terme de ces cinq remarques, nous pouvons constater :<br />

1. que c’est bien le sport réel qui contient les ferments de sa propre perversion<br />

dès lors qu’il fonctionne circulairement pour lui-même, qu’il prend la<br />

forme non distanciée d’une contrainte sociale forte, qu’il s’accompagne<br />

du culte du corps, qu’il s’étend à la terre entière en un spectacle médiatique<br />

universel, qu’il suppose des professionnels de <strong>plus</strong> en <strong>plus</strong> instrumentalisés,<br />

vouant leur existence à ce corps et à ses performances tout<br />

en servant de modèle de vie presque exclusif à la majorité des enfants ;

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