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Ethique et sport en Europe<br />

que par la pensée, mais une pensée qui n’est pas séparée du corps parce<br />

qu’elle est une pensée corporelle, c’est-à-dire un corps pensant.<br />

De la même façon, le sport est éthique dans la mesure où, comme activité<br />

inutile, il donne à chaque homme le sens de l’inutilité qu’il doit y avoir dans<br />

toutes les activités utiles et sérieuses de la vie. Ce sens de l’inutilité est le<br />

sens par lequel on ne fait jamais complètement corps ni avec soi, ni avec ce<br />

que nous sommes, ni avec ce que nous faisons : la distance ironique consiste<br />

à mettre l’altérité et l’humour au fond de nous-mêmes comme constitutif de<br />

nous-mêmes, de ce nous-mêmes que nous devons considérer non comme un<br />

moi identique à lui-même mais comme un soi se mouvant et se transformant.<br />

Etre soi-même comme un autre, cela permet de prendre sur soi la position<br />

de l’autre et à partir de l’autre sa propre position.<br />

On trouve dans les écrits disséminés d’Héraclite le fragment suivant<br />

(fragment 128) : « Il faut <strong>savoir</strong> que la guerre est universelle, et la joute<br />

justice, et que, engendrées, toutes choses le sont par la joute, et par elle<br />

nécessitées. » Cette formule, obscure en apparence, contient toute la sagesse<br />

du sport, non en tant que pratique socialement et historiquement déterminée<br />

mais en tant qu’activité physique que les Grecs considéraient aussi comme<br />

un exercice spirituel. Que signifie-t-elle ? La paix (eiréné) n’est pas, comme<br />

le pensait Hésiode, heureuse et séparée de la guerre (polémos) seulement<br />

douloureuse. Car la guerre inclut la paix et la paix la guerre. Comment ?<br />

<strong>En</strong> introduisant dans le combat et le désaccord une harmonia, c’est-à-dire<br />

une proportion, une justice qui est d’abord une justesse au sens mathématique<br />

de mesure. La guerre n’est féconde que si elle recèle la paix ; et<br />

en recélant la paix, elle passe du statut de polémos purement destructeur,<br />

parce que violence démesurée (hybris), à celui d’éris qui est opposition<br />

et combat mesurés, sans abus, sans excès, sans pléonexia (débordement,<br />

trop-plein, enflure sans limites, infinie). Comme la lutte des corps de deux<br />

athlètes, comme la lutte des sons aigus et des sons graves, comme celle du<br />

mâle et de la femelle dont parle Aristote43 , l’éris est une bataille féconde qui<br />

produit une égalité maintenant les différences. Cette égalité reposant sur la<br />

multiplicité agencée est la réalité elle-même. Or, comme le dit le fragment,<br />

cela, « il faut [le] <strong>savoir</strong> ». Il y a dans ce « il faut » l’expression d’une exigence<br />

et d’un commandement de connaissance en quoi consiste la sagesse de<br />

celui qui sait véritablement que la lutte des contraires « nécessite » tout ce<br />

qui existe et fait qu’il y a quelque chose plutôt que rien. Cette sagesse,<br />

elle est philosophique mais elle est tout aussi bien athlétique et sportive.<br />

Athlétique, parce que l’athlète n’est tel qu’en dépensant son énergie à partir<br />

d’un entraînement et d’une diététique réglés ainsi qu’à partir d’une maîtrise<br />

fine de ses gestes ; athlétique encore parce que le sportif n’est victorieux<br />

43.Cité par Marcel Conche, in Héraclite ? Fragments (trad. Marcel Conche), PUF, coll.<br />

« Epiméthée », Paris, 1986 (4 e éd. 1998), 2005, 2 e tirage, p. 439.<br />

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