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De l’éthique dans le sport : contexte historique et philosophique<br />
L’idéal des hommes de l’Iliade est une morale héroïque de l’honneur. Mais ce<br />
qui les pousse vers l’héroïsme ce n’est pas le devoir tel que nous le comprenons<br />
aujourd’hui, c’est-à-dire un devoir envers les autres, mais un devoir<br />
envers soi-même ; il va donc <strong>plus</strong> loin que la morale, il devient un concept<br />
éthique, étant donné que, comme le souligne Fernando Savater, l’éthique<br />
est fondamentalement un processus d’amélioration personnelle. La finalité<br />
principale de l’éthique consiste à s’améliorer soi-même 49 .<br />
L’idéal éthique chez Homère est constitué du sens du devoir et du sentiment<br />
que son non-respect suscite la némésis. Les Grecs, qui considérèrent toujours<br />
l’adresse et la force remarquables comme la base évidente de toute position<br />
dominante, utilisèrent le mot aretè pour désigner, « conformément à la philosophie<br />
des temps primitifs, la force et l’adresse des guerriers ou des lutteurs,<br />
et avant tout le courage héroïque compris non pas dans notre sens de l’action<br />
morale et séparée de la force, mais comme un tout intimement lié » 50 .<br />
Nulle part ailleurs comme chez Homère on trouve une joie si profonde, si<br />
ardente et si lucide. Tout est bon dans ce monde illuminé par le feu d’une<br />
énergie indomptable et inépuisable : les héros – grecs et troyens confondus<br />
– les combats, les banquets, les chevaux, les belles captives, les objets<br />
« élaborés par Héphaïstos ». « Homère, disait Dion de Pruse, fait l’éloge de<br />
toutes les choses, que ce soit des animaux ou des plantes, de la terre ou de<br />
l’eau, des arbres ou des chevaux. Il n’oublie jamais d’honorer et de glorifier.<br />
Même le seul homme qu’il maltraite, Thersites, il l’appelle “l’orateur à la voix<br />
claire” » (Dion de Pruse, Discours, XXXIII, 11).<br />
Cette bénédiction absolue de l’existence est basée sur l’agon (combat et<br />
compétition à la fois). Et cet agon, où s’évalue l’aretè, c’est-à-dire la vigueur<br />
et la volonté « d’être supérieur aux autres », se manifeste en premier lieu à la<br />
guerre, mais quand les héros d’Homère ne s’affrontent pas dans la bataille, ils<br />
le font dans les jeux. Ces jeux, qui ont au départ un caractère exclusivement<br />
aristocratique, seront les mêmes auxquels participera <strong>plus</strong> tard le dêmos. Ils<br />
font donc leur apparition liés à une classe sociale que nous pouvons considérer<br />
comme « aristocrate et guerrière » et dont le principal désir est celui de la<br />
compétition et de la victoire. La rude rivalité, mais pacifique et courtoise, doit<br />
présider aux jeux. Elle sert de distraction entre les combats et prépare pour<br />
de nouvelles luttes. La guerre ne s’achève jamais : les exercices physiques sont<br />
à la fois postmilitaires et prémilitaires. Grâce à eux, on acquérait la force<br />
physique et l’agilité nécessaires pour les affrontements guerriers, on apaisait<br />
l’âme par l’habitude de la fatigue et du danger, et le corps finalement prenait<br />
les proportions idéales de la beauté masculine, telles qu’elles furent représentées<br />
dans les kouroi archaïques : des jambes et des cuisses musclées, des bras<br />
nerveux, un cou puissant et une large poitrine.<br />
49. Savater F., Etica para Amador, Ariel, Madrid, 1991.<br />
50. Jaeger W., op.cit., p.22.<br />
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