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Dépasser Stanislavski - Maison Jean Vilar

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eprésentation. On ne doit pas les confondre, ni sacrifi er<br />

l’un au profi t de l’autre. On n’a pas à choisir entre l’ailleurs<br />

et l’autrefois de l’un et le ici et le maintenant de l’autre. Il<br />

faut les traiter ensemble, mais distinctement.<br />

- Autour de la table, on ne sait jamais assez d’une œuvre ; sur<br />

la scène, on en sait toujours trop. Ce que je mets en scène,<br />

c’est ce que je ne sais pas, ou en tout cas ce que je crois ne<br />

pas savoir, ce que je ne sais pas même si, obscurément, je<br />

le sais déjà. Tout désir, toute nécessité que l’on a de porter<br />

un texte à la scène partent de son secret non de sa feinte<br />

transparence. Secret quelquefois approché, jamais tout à<br />

fait atteint. On pourrait tout aussi bien écrire cela du rapport<br />

qu’entretenait Tchékhov avec ses personnages, et de celui<br />

que nous entretenons avec son texte et nos acteurs.<br />

Dans son édition de la Pléiade, le grand tchékhovien Claude<br />

Frioux nous révèle le sujet de la pièce à laquelle travaillait<br />

Tchékhov dans les semaines qui précédèrent sa mort : « Un<br />

savant aime une femme qui ne l’aime pas ou le trompe et<br />

il s’en va dans le grand nord. Il se représentait le troisième<br />

acte comme cela : un bateau pressé par les glaces et, sur le<br />

pont, le savant se tient solitaire ; autour, c’est le silence, le<br />

calme, la grandeur de la nuit, sur un fond d’aurore boréale<br />

il voit passer l’ombre de la femme aimée ». Comment Frioux<br />

a-t-il eu connaissance de ce manuscrit ? Comment celui-ci se<br />

présente-t-il et comment se serait-il organisé ? La réponse à<br />

ces questions importe, certes. Mais l’essentiel à nos yeux<br />

est ailleurs. Dans ce canevas dont nous ne saurons jamais<br />

davantage et dont nous ne souhaitons pas à vrai dire que<br />

quelqu’un songe à le reprendre, Tchékhov, cet éternel<br />

présent-absent à son théâtre et à ses nouvelles, consent<br />

pour la première fois à se mettre en scène sans presque<br />

plus d’intermédiaire. Perdu au milieu des glaces, dans le<br />

silence infi ni d’une aurore boréale, il s’avance seul (lui qui<br />

eut si peu droit à la solitude), vacant (lui qui ne s’accorda<br />

jamais de répit), amoureux délaissé (lui qui s’amusa<br />

souvent de l’amour qu’on lui portait). De tous les portraits<br />

et documents photographiques qui nous restent, c’est cette<br />

image, pourtant imaginaire, que désormais je garderai de<br />

lui.<br />

J. L.<br />

Jacques Lassalle est auteur et metteur en scène. Il a notamment<br />

dirigé le Théâtre national de Strasbourg de 1983 à 1990 et la<br />

Comédie-Française de 1990 à 1993. Il est président de l’Association<br />

<strong>Jean</strong> <strong>Vilar</strong> depuis avril 2009.<br />

<br />

Denis Podalydès dans le rôle-titre Platonov,<br />

mise en scène Jacques Lassalle, Comédie-Française, 2003.<br />

Photo Ramon Senera / CDDS Enguerand Bernand.<br />

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