Dépasser Stanislavski - Maison Jean Vilar
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Paroles de metteurs en scène<br />
<br />
Maria Roksanova et <strong>Stanislavski</strong> dans<br />
La Mouette, 1898. Collection<br />
Musée du Théâtre d'Art, Moscou.<br />
Intuition et<br />
sentiment<br />
Constantin <strong>Stanislavski</strong><br />
La représentation des pièces de Tchékhov ne se décrit pas ;<br />
c’est impossible. Leur charme n’est pas dans le dialogue,<br />
mais dans ce qu’il cache, dans les silences, dans les regards<br />
des acteurs, dans le rayonnement de leur vie intérieure. Les<br />
objets inanimés, les sons, le décor, l’aspect physique du<br />
personnage, tout concourt à créer l’état d’âme qui émane<br />
du spectacle. L’intuition et le sens artistique jouent ici le<br />
rôle principal […]<br />
La portée poétique d’une pièce de Tchékhov ne se révèle pas<br />
de prime abord. L’ayant lue, on se dit : «C’est bien, mais…<br />
rien d’extraordinaire, de frappant. Tout est banal. C’est vrai…<br />
mais c’est du déjà vu… Il n’y a là rien de neuf».<br />
Il arrive même qu’une connaissance plus approfondie de<br />
l’œuvre déçoive le lecteur. L’affabulation, le sujet ? Ils<br />
tiennent en deux mots. Les rôles ? Beaucoup de bons rôles,<br />
mais pas un de ces grands rôles qui sont le véritable emploi<br />
de certains comédiens. On retient des morts, des scènes<br />
isolées… Seulement, voici qui est bizarre : la pièce vous<br />
hante et plus on y pense, plus on veut y penser. On la relit,<br />
une fois, deux fois – et on commence à découvrir le minerai<br />
caché.<br />
Il m’est arrivé de jouer des centaines de fois le même rôle<br />
dans les pièces de Tchékhov, et chaque fois cela m’a fait<br />
découvrir en moi des sentiments nouveaux et dans l’œuvre<br />
même des profondeurs et des nuances insoupçonnées.<br />
Tchékhov est inépuisable ; il a l’air de représenter le<br />
quotidien, mais en réalité, par-delà les contingences et le<br />
particulier, c’est l’Humain, avec une majuscule, qu’il met en<br />
œuvre.<br />
[…] Dans les pièces de Tchékhov, l’action n’est pas extérieure ;<br />
dans la passivité même des personnages se cache une<br />
action intérieure compliquée. Tchékhov a prouvé mieux<br />
que quiconque que l’action scénique doit être comprise du<br />
dedans ; l’œuvre dramatique ne doit être bâtie que sur la vie<br />
profonde des personnages, épurée de tout élément pseudoscénique.<br />
Tandis que l’action extérieure amuse, distrait ou<br />
émeut les nerfs, l’action intérieure seule les empare de<br />
notre âme, par une sorte de contagion, et la régit. Il est<br />
préférable, évidemment, que les deux actions coexistent,<br />
étroitement fondues. L’œuvre gagnera en ampleur et en force<br />
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