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Dépasser Stanislavski - Maison Jean Vilar

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grand’ route, Le Chant du cygne), et malgré<br />

sa méfi ance envers l’art dramatique,<br />

Tchékhov relève le défi de Korch, directeur<br />

d’un théâtre renommé à Moscou : « Je suis<br />

allé me coucher, j’ai pensé à un sujet, j’ai<br />

écrit une pièce ». En dix jours, Ivanov est<br />

écrit : « L’intrigue est compliquée, mais pas<br />

stupide. Je termine chaque acte comme je<br />

le fais pour mes nouvelles : je laisse les<br />

choses aller tranquillement, et à la fi n,<br />

pan ! dans la gueule du spectateur ! J’ai mis<br />

toute mon énergie dans quelques pages<br />

qui me paraissent d’une grande intensité ;<br />

en revanche, les scènes qui les relient sont<br />

insignifi antes et d’une extrême banalité.<br />

Mais je suis content car, même si la pièce<br />

est mauvaise, j’ai créé un nouveau genre. »<br />

Ivanov est créé le 10 novembre 1887 au<br />

théâtre Korch dans les conditions de<br />

l’époque : quatre répétitions avec une<br />

bande inorganisée de comédiens turbulents<br />

qui n’en font qu’à leur tête d’affi che, aucune<br />

idée de « l’ensemble » ni de la mise en scène<br />

qui ne se cristallisera quelques années plus<br />

tard qu’avec l’arrivée du Théâtre d’Art de<br />

<strong>Stanislavski</strong> et Némirovitch-Dantchenko.<br />

Sans atteindre aux excès d’une bataille<br />

d’Hernani, cette première est fort agitée<br />

et Tchékhov s’amuse du scandale qu’il<br />

a provoqué. Il signe une lettre « Schiller<br />

Shakespearovitch Goethe ».<br />

Alors que son frère aîné Alexandre – qu’il<br />

ne cessera de considérer comme supérieur<br />

à lui en dons et en talent – sombre dans<br />

l’alcool et la misère, l’admiration, les<br />

encouragements, l’amitié de l’intelligentsia<br />

littéraire de Saint-Pétersbourg contribuent<br />

à soutenir de nouvelles audaces : répondant<br />

à une commande de la revue Le Messager<br />

du Nord, Tchékhov se risque à un long<br />

récit publié en mars 1888, La Steppe, dont<br />

« chaque page est compacte comme un petit<br />

conte séparé, les tableaux se chevauchent,<br />

se bousculent, l’un cachant l’autre… Cela<br />

fi nit par être nuisible à l’intérêt général et<br />

le lecteur s’ennuiera et crachera dessus. »<br />

Mais « c’est mon chef-d’œuvre et je suis<br />

incapable de faire mieux ». La Steppe est<br />

le récit du voyage d’un petit garçon de<br />

neuf ans qui traverse l’immensité russe<br />

avec son oncle, dans un convoi de chariots<br />

pour se rendre en ville où il sera mis à<br />

l’école. Aucune action. Un lent voyage.<br />

Tout sauf un « roman » alors qu’on attend<br />

de lui qu’il s’attaque aux problèmes de<br />

l’heure. Le pays est en pleine effervescence<br />

politique : depuis l’assassinat d’Alexandre<br />

II, le régime d’Alexandre III exerce de<br />

féroces représailles contre les milieux<br />

révolutionnaires, ce qui n’empêche pas<br />

d’autres attentats contre le tsar, et d’autres<br />

féroces répressions… Mais ces questions<br />

dépassent Anton Tchékhov : après tout, il<br />

n’est pas un écrivain, seulement un aimable<br />

amateur, un moujik moins doué que ses<br />

frères, dont le vrai métier est la médecine.<br />

Il n’a aucun rôle à jouer dans la littérature<br />

de son pays et il n’accorde aucun crédit à<br />

sa petite notoriété passagère : il sera vite<br />

oublié. Tchékhov ne se départira jamais<br />

de cette autodérision, de ce mépris pour<br />

<br />

Portrait d'Anton Pavlovitch Tchékhov, 1888.<br />

Collection Musée littéraire, Moscou.<br />

son destin littéraire. Quant à la politique,<br />

l’écrivain ne doit, selon lui, s’y intéresser<br />

que pour mieux s’en garder.<br />

Malgré le prix Pouchkine, malgré de<br />

nombreuses rencontres amoureuses,<br />

malgré la fréquentation nouvelle de<br />

l’homme de théâtre Vladimir Némirovitch-<br />

Dantchenko, malgré celle de Piotr<br />

Tchaïkovski avec qui il envisage l’écriture<br />

d’un opéra, malgré le succès de son lever<br />

de rideau L’Ours, et celui de la reprise<br />

d’Ivanov au théâtre Alexandrinski de<br />

Saint-Pétersbourg, Tchékhov ne cesse de<br />

se mésestimer : « Nous autres, écrivains<br />

d’aujourd’hui, nous peignons la vie telle<br />

qu’elle est, mais au-delà, il n’y a rien.<br />

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