Dépasser Stanislavski - Maison Jean Vilar
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Pogrebnitchko nous dit que les pièces de Tchékhov sont<br />
comme de grandes maisons anciennes dont il ne faut pas se<br />
lasser de visiter toutes les chambres, les coins et les recoins,<br />
pour découvrir des portes dérobées, regarder à travers des<br />
fenêtres que le temps a parfois murées, contourner les lieux<br />
trop fréquentés, dissiper le brouillard d’un soi-disant savoir,<br />
sans pourtant jamais oublier l’histoire scénique de ces<br />
grandes demeures théâtrales.<br />
B. P.-V.<br />
d’après un entretien avec Jacques Téphany<br />
Béatrice Picon-Vallin dirige le laboratoire de recherche sur les Arts<br />
du spectacle au CNRS.<br />
1 : Dans La Cerisaie, il joue Trofi mov.<br />
2 : Lire la lettre ci-contre.<br />
3 : Lire la deuxième lettre ci-contre.<br />
4 : Cet emblème, qui se retrouve également sur la tombe des compagnons<br />
du Théâtre d’Art, sera au cœur de l’exposition présentée à la <strong>Maison</strong> <strong>Jean</strong><br />
<strong>Vilar</strong>, prêt du musée du Théâtre d’Art de Moscou.<br />
5 : Lettre de A. Tchékhov à C. <strong>Stanislavski</strong>, 5 février 1903 :<br />
Je ne me sentais pas bien, à présent j’ai ressuscité, ma santé s’améliore,<br />
et si je ne travaille pas encore à l’heure actuelle comme je le devrais, c’est<br />
la faute au froid (il fait 11 degrés dans mon bureau), à la solitude et à la<br />
paresse, laquelle est née en 1859, c’est-à-dire un an avant moi. Néanmoins,<br />
je compte me mettre à la pièce après le 20 février, et l’avoir fi nie pour le 20<br />
mars. Dans ma tête, elle est déjà toute prête. Elle s’appelle La Cerisaie, en<br />
quatre actes : au premier acte, on voit des cerisiers en fl eur par la fenêtre,<br />
un jardin entièrement blanc. […] Il neige...<br />
6 : Arrêté, Meyerhold, membre du PC depuis 1918, fut longuement<br />
torturé fi n 1939 pour espionnage et trotskisme, puis fusillé en secret le<br />
2 février 1940, sa femme ayant été elle-même, entre-temps, assassinée.<br />
La complète réhabilitation de sa mémoire n’interviendra qu’en 1988.<br />
Lettre de Meyerhold à Tchékhov, 8 mai 1904<br />
Cher Anton Pavlovitch,<br />
[…] Votre pièce est abstraite comme une symphonie de<br />
Tchaïkovski. Et le metteur en scène doit, avant tout, y<br />
percevoir des sons. Au troisième acte, sur le fond d’un<br />
trépignement bête – et c’est ce trépignement qu’il<br />
faut entendre –, l’Horreur pénètre les personnages<br />
insensiblement, sans qu’ils s’en aperçoivent. La Cerisaie<br />
est vendue ! Ils dansent. Vendue ! Ils dansent, et comme<br />
ça jusqu’à la fi n. Quand on lit la pièce, le troisième acte<br />
produit la même impression que ce tintement dans l’oreille<br />
du malade de votre nouvelle, Le Typhus. Comme une<br />
démangeaison. Une gaîté dans laquelle se font entendre<br />
les bruits de la mort. Il y a dans cet acte quelque chose de<br />
terrible, à la Maeterlinck. Je ne fais cette comparaison que<br />
faute de pouvoir m’exprimer avec davantage de précision.<br />
Votre grand art est incomparable. Quand on lit des pièces<br />
d’auteurs étrangers, votre originalité vous situe tout à<br />
fait à part. Et pour ce qui est de la dramaturgie, il faudra<br />
que l’Occident prenne des leçons sur vous.<br />
Au Théâtre d’Art, le troisième acte ne laisse pas une telle<br />
impression. Le fond est à la fois trop grave et trop proche.<br />
Au premier plan, l’histoire, avec les queues de billard, les<br />
amusettes. Et tout ça présenté sans liens. Tous ces trucs<br />
ne reconstituent pas la chaîne du « trépignement ». Et<br />
pourtant c’est bien à des danses que l’on a affaire, les<br />
gens sont insouciants et ne sentent pas le malheur. Au<br />
Théâtre d’Art, on a trop ralenti le rythme de cet acte.<br />
On a voulu représenter l’ennui. C’est une erreur. Il faut<br />
représenter l’insouciance. Il y a une nuance : l’insouciance<br />
est plus active. C’est alors que tout le tragique de l’acte<br />
se concentre. […]<br />
V. Meyerhold, qui vous aime profondément.<br />
Meyerhold, Écrits sur le théâtre,<br />
édition revue et augmentée, L’Âge d’Homme, 2009<br />
Note (1935-1938)<br />
Tchékhov m’aimait. C’est la fi erté de ma vie, un de mes<br />
plus chers souvenirs. J’ai correspondu avec lui, mes<br />
lettres lui plaisaient. Il me conseillait toujours de me<br />
mettre à « écrire » moi aussi et m’avait même donné des<br />
lettres de recommandation pour des éditeurs. J’avais pas<br />
mal de lettres de lui, huit ou neuf je crois. Mais elles ont<br />
toutes été perdues sauf une, que j’ai laissé publier. Dans<br />
les autres, il y avait beaucoup de choses fl atteuses pour<br />
moi et cela me gênait de les montrer. Quand j’ai quitté<br />
Léningrad, je les ai données à un musée en dépôt, mais<br />
à mon retour, l’homme à qui je les avais confi ées était<br />
mort. Je ne peux me le pardonner. Ce que je n’ai pas voulu<br />
garder s’est conservé, et ce à quoi je tenais le plus, je l’ai<br />
perdu. C’est ce qui arrive souvent dans la vie.<br />
Meyerhold, Écrits sur le théâtre, L’Âge d’Homme, 1980<br />
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