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Dépasser Stanislavski - Maison Jean Vilar

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« Shakespeare écrivait comme un pied, mais<br />

vous c’est pire », dit-il à l’oreille d’Anton.<br />

Mais le public payant et populaire accueille<br />

la pièce triomphalement dès le lendemain.<br />

À Yalta, l’ennui est désespérant malgré<br />

l’élection de Tchékhov à l’Académie des<br />

belles-lettres, ce qui lui procure quelques<br />

privilèges : moins de censure, moins de<br />

contrôles policiers… Tchékhov est débordé<br />

par sa propre charité envers ses amis<br />

malades. Heureusement, au printemps<br />

1900, le Théâtre d’Art fera une tournée en<br />

Crimée avec La Mouette et Oncle Vania,<br />

nourrissant le secret espoir d’en rapporter<br />

une nouvelle pièce qui pourrait raconter<br />

l’histoire, inspirée de rencontres réelles,<br />

de trois sœurs… À Sébastopol, Tchékhov<br />

assiste au triomphe d’Oncle Vania :<br />

l’ovation l’oblige à monter sur scène saluer<br />

dans un état de fatigue extrême. À la fi n de<br />

l’année, Levitan meurt, Souvorine – dont<br />

l’amitié est indestructible – observe que<br />

Tchékhov crache de plus en plus de sang,<br />

et les intrigues, l’habileté manœuvrière<br />

d’Olga Knipper triomphent des derniers<br />

obstacles : « Affaire conclue, annonce<br />

Nemirovitch-Dantchenko à <strong>Stanislavski</strong> :<br />

Knipper épouse Tchékhov ». Il faudra tout<br />

de même attendre le 25 mai 1901.<br />

Octobre 1900 : première lecture à Moscou<br />

des Trois Sœurs qui laissent perplexes<br />

les comédiens du Théâtre d’Art, surtout<br />

ce personnage de baron Touzenbach qui<br />

répond toujours à côté et, fi dèle à l’art<br />

du laconisme tchékhovien, invite ses<br />

interlocuteurs à regarder la neige tomber…<br />

Et puis, que c’est triste ! Tchékhov est<br />

furieusement déçu par lui-même, mais Olga<br />

Knipper le reprend et l’accompagne dans<br />

les corrections nécessaires. Il fuit à Vienne<br />

puis à Nice une nouvelle série de deuils, il<br />

est très malade, il achève les corrections<br />

de la pièce dont la première – au succès<br />

mitigé – aura lieu sans lui le 31 janvier<br />

1901 : sur le chemin du retour, il s’est arrêté<br />

à Pise, Florence, Rome. L’Italie l’enchante.<br />

Il rentre à Yalta où il dissimule, derrière un<br />

extrême souci d’élégance, un état de santé<br />

de plus en plus catastrophique cependant<br />

que les convulsions politiques contre le<br />

régime tsariste fi nissent de ranger Les Trois<br />

Sœurs dans le camp de la contestation : le<br />

Théâtre d’Art joue à guichets fermés.<br />

Quel étrange couple que celui d’Anton<br />

et d’Olga ! Il apprécie les femmes qui<br />

ressemblent à la lune, celles qu’on ne<br />

voit qu’une fois par mois. Avec Olga, il est<br />

servi : elle place sa carrière au premier<br />

rang de ses préoccupations, jalouse<br />

toutes celles qui ont pu approcher son<br />

amant, entretient une grande familiarité<br />

avec Evguénia et Macha, la mère et la<br />

sœur si dévouées à Anton, revient vers<br />

lui, s’échappe à nouveau… Il fi nit par<br />

céder bien que « l’idée d’un mariage avec<br />

félicitations et verres de champagne qu’on<br />

lève en souriant bêtement me fasse très<br />

peur. » Le soir même de leur mariage, Olga<br />

et Anton partent pour Oufa, dans l’Oural,<br />

afi n de faire une cure de « koumis », un lait<br />

de jument fermenté qui redonne quelques<br />

forces au tuberculeux. De retour à Yalta,<br />

l’ambiance est celle d’un nœud de vipères :<br />

« Les relations avec ma belle-sœur sont<br />

gentiment mauvaises », écrit Macha ; elle<br />

estime, d’accord avec sa mère, Evguénia,<br />

qui ne supporte pas sa belle-fi lle, qu’Anton<br />

s’est fait piéger par une aventurière. « Je<br />

serai toujours une blessure entre ta sœur<br />

et toi… Elle est capable de tout pour nous<br />

séparer », écrit l’épouse honnie à son mari<br />

vaguement indifférent aux intrigues de son<br />

gynécée.<br />

À l’automne 1901, Tchékhov soigne son<br />

hémoptysie à Gaspra, en Crimée, non loin<br />

de Yalta, chez une riche amie du comte Léon<br />

Tolstoï qui, selon Tchékhov, « accomplit<br />

tout ce que l’on peut espérer et attendre<br />

de la littérature. […] Lorsqu’il disparaîtra,<br />

les écrivains ne seront plus qu’un troupeau<br />

sans berger, une épouvantable ratatouille. »<br />

Gorki les rejoint, observe leur amitié<br />

complice. « J’aime beaucoup Tchékhov, écrit<br />

Tolstoï, il est modeste et silencieux comme<br />

une jeune fi lle, il marche comme une jeune<br />

fi lle, il est tout simplement merveilleux ! »<br />

À Moscou, Tchékhov se mêle de la reprise<br />

des Trois Sœurs, corrige la mise en scène<br />

de <strong>Stanislavski</strong>, supprime les imitations<br />

de roucoulements de colombes par les<br />

acteurs en coulisse et tout un ensemble<br />

de détails véristes, d’artifi ces inutiles. Le<br />

public fait un triomphe à cette nouvelle<br />

lecture dépouillée, et Tchékhov lui-même<br />

Ivanov, affi che,<br />

Théâtre de la ville de Saratov, 1889.<br />

Collection Musée Bakhrushin.<br />

<br />

s’enthousiasme : « C’était superbe, un<br />

spectacle merveilleux, bien au-delà de ce<br />

que j’avais écrit. Je me suis un peu occupé<br />

de la mise en scène, j’ai donné aux acteurs<br />

quelques indications, les gens trouvent que<br />

la pièce est beaucoup mieux que la saison<br />

dernière. »<br />

Olga vit sa vie de comédienne adulée,<br />

travaille le jour, s’amuse la nuit, s’emploie<br />

à ruiner la carrière d’actrice de Lika,<br />

collectionne les vacheries contre ses<br />

supposées rivales, et Tchékhov l’attend<br />

patiemment. Quand il s’apprête à regagner<br />

Yalta parce que le froid moscovite le rend<br />

malade, elle lui fait des scènes sur l’air<br />

du « ne m’abandonne pas ». Il rêve de<br />

faire avec elle « un petit Allemand » qu’ils<br />

appelleraient Pamphile. Ils s’écrivent<br />

ensuite des lettres pleines de tendresse et<br />

d’amour, et si elle est jalouse, désormais,<br />

c’est de Gorki et de Bounine qui partagent<br />

l’amitié d’Anton et en savent plus qu’elle<br />

sur la pièce qu’il a entrepris d’écrire. Il la<br />

rassure : « Je ne sais pas moi-même de quoi<br />

elle aura l’air, quel est son avenir, cela change<br />

continuellement. » Il éprouve beaucoup de<br />

diffi cultés à achever la nouvelle L’Évêque,<br />

qui sera l’une de ses plus pénétrantes, alors<br />

qu’à Saint-Pétersbourg, le tsar assiste à une<br />

représentation triomphale des Trois Sœurs.<br />

La pièce de Gorki, Les Petits bourgeois,<br />

reçoit elle aussi un accueil très favorable,<br />

même si elle est jouée devant un parterre<br />

farci de policiers. Olga en est l’interprète,<br />

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