Dépasser Stanislavski - Maison Jean Vilar
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Le Jardin des cerises<br />
Georges Pitoëff<br />
Pour traduire Tchékhov il faut non seulement savoir les<br />
deux langues, mais surtout savoir quel sens il faut donner<br />
au texte, parfois vague, qui prête à plusieurs interprétations<br />
[…] ça doit donner en scène. Tout est dans les plus petites<br />
choses. Le Jardin des Cerises (impossible de dire « Cerisaie »,<br />
il faut absolument conserver le mot de « jardin ») est la plus<br />
délicate de toutes les pièces de Tchékhov. Pour faire parler<br />
ses personnages, il faut les connaître. Je dirai même qu’il<br />
faut connaître toute l’œuvre de Tchékhov pour comprendre<br />
ce qu’est Le Jardin des Cerises. Je connais l’admirable<br />
interprétation de Stanislavki. Je l’ai même jouée moi-même<br />
et chaque fois je trouve des nouvelles beautés dans ce beau<br />
jardin. Dans ce jardin – qui est la Russie.<br />
Georges Pitoëff à Jacques Copeau<br />
29 août 1921<br />
Dans notre traduction française de La Mouette de Tchékhov<br />
l’adaptation ne porte que sur certaines nécessités purement<br />
scéniques. Ainsi, nous avons simplifi é partout où cela était<br />
possible les noms des personnages en les appelant par leur<br />
petit nom ou par : mère, oncle, général, etc. D’habitude,<br />
l’auditeur se perd dans les noms compliqués russes et met<br />
même un certain temps pour comprendre ce dont il s’agit.<br />
Et puis pourquoi appeler Nina, comme dans le texte russe,<br />
par son nom de famille Zaretchnaïa ? Zaretchnaïa ne dit<br />
absolument rien à l’oreille française, tandis que pour l’oreille<br />
russe, ce seul nom sonne comme un poème. Zaretchnaïa<br />
veut dire : celle qui vit au-delà de la rivière. Treplev, c’est<br />
celui qui frémit comme une feuille, c’est l’âme du jeune<br />
poète qui frémit. Si on ne comprend pas cela, il vaut mieux<br />
l’appeler tout simplement par son petit nom, Kostia.<br />
Nous avons également remplacé dans le texte de Kostia le<br />
nom de l’écrivain Nekrassov absolument inconnu en France,<br />
par le nom de Pouchkine. De même dans la dernière scène,<br />
nous faisons dire à Nina : « Chez Pouchkine, le meunier<br />
dit : « Je suis un corbeau ». Dans le texte, c’est : « Dans<br />
Roussalka, le meunier dit : « Je suis un corbeau ». Pour que<br />
le public français pût comprendre cette phrase, il faudrait<br />
qu’il connût l’admirable poème de Pouchkine qui s’appelle<br />
Roussalka. Même ce nom, Roussalka, est intraduisible. Si<br />
vous voulez, c’est une ondine, tout en n’étant pas ondine.<br />
Une jeune paysanne, fi lle du meunier, est séduite par un<br />
prince. Le meunier laisse faire les choses, car l’or du prince<br />
est tentant. Mais le prince se marie et abandonne la jeune<br />
fi lle qui se jette dans la rivière et devient la Reine des Eaux-<br />
Roussalka. A partir de ce moment, le meunier, son père,<br />
devient fou et dit toujours : Je suis un corbeau comme Nina<br />
dit : Je suis une mouette. Nous avons aussi remplacé par les<br />
mélodies connues que chantonne toujours le Docteur Dorn<br />
les chants tziganes indiqués par Tchékhov (il n’y a que l’air de<br />
Si Belle qui soit maintenu) et nous avons également remplacé<br />
par des personnages et par des titres de pièces connus du<br />
public français, les personnages et les titres des romans<br />
connus du public russe dont parle toujours l’intendant.<br />
Cité dans la revue Silex, n°16, 2 e trimestre 1980<br />
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