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Dépasser Stanislavski - Maison Jean Vilar

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Les écrivains médecins sont des personnages attachants :<br />

ce sont des humanistes au sens premier, évident, du terme.<br />

Je crois que c’est cet humanisme qui a conduit Tchékhov à<br />

traverser son immense patrie peuplée de miséreux partout<br />

présents dans son œuvre, et à faire le voyage de l’Orient<br />

le plus extrême, jusqu’à Sakhaline. Être à la fois Russe et<br />

médecin explique ce questionnement spécifi que à cette<br />

littérature. En France, il y a des prisons, elles font partie du<br />

paysage urbain à côté des hôpitaux, des écoles, des stades<br />

ou des théâtres… Elles sont à proximité. En Russie, il y a des<br />

bagnes, et ils sont situés comme de l’autre côté du monde,<br />

on s’y rend après des mois de voyage périlleux et exténuant.<br />

La Sibérie, c’est une mort civile dans l’exil et l’oubli, et cette<br />

menace concerne tout un chacun… Souvenirs de la <strong>Maison</strong><br />

des morts reste l’un des plus grands livres de Dostoïevski.<br />

Avec Résurrection, Tolstoï pose la même question de<br />

l’enfermement, des travaux forcés, et Soljenitsyne – et tant<br />

d’autres – ne cesseront de la poser à nouveau.<br />

C’est l’idée même de liberté qui est en question. La liberté<br />

n’est pas un concept russe. Quiconque a une petite idée<br />

de la Russie comprend la nécessité d’un pouvoir central<br />

énergique pour ne pas dire à poigne. Un aimable social<br />

démocrate de notre République ne tiendrait pas un weekend<br />

dans un espace de neuf heures d’avion entre Moscou<br />

et Vladivostok, sans compter un climat épouvantable. Mes<br />

amis écrivains russes appellent évidemment de leurs vœux<br />

la liberté d’opinion et d’expression, mais pour eux les vraies<br />

valeurs sont l’entraide, la convivialité, l’hospitalité – pas la<br />

liberté. C’est cette contradiction qui est passionnante : la<br />

liberté c’est l’illimité, le vertige. Or la steppe interminable<br />

appelle le rêve d’une clairière à l’horizon limité. Il faut donner<br />

des bornes à l’immensité, pour ainsi dire des garde-fous.<br />

Ce qui ouvre la porte à d’autres enfers : Godounov, Ivan le<br />

Terrible, Pierre le Grand, qui coupaient eux-mêmes la tête de<br />

leurs ennemis, ne sont pas moins terrifi ants que Staline. Et<br />

en même temps, - tant pis si je choque - ces tyrans (même<br />

Staline !) étaient artistes, contradiction monstrueuse que<br />

nous avons beaucoup de mal à comprendre.<br />

Tchékhov était beaucoup trop fi n pour avoir un regard<br />

politique sur les choses. La politique conduit naturellement<br />

au parti pris, au sectarisme, et l’on peut comprendre que<br />

Gorki s’engage en raison de ses origines : à dix ans, il<br />

travaillait comme un esclave et il appelait la révolution<br />

du fond de son expérience douloureuse. Il paiera cher sa<br />

foi, ses illusions, dans cette maison de riche au style art<br />

nouveau, à Moscou, que Staline mit à sa disposition et qu’il<br />

détestait, où il fut à coup sûr empoisonné par ses médecins.<br />

<br />

Les marais de la Baraba, une photo extraite de l'ouvrage<br />

de Dominique Fernandez, L'âme russe. Cette image a<br />

inspiré l'affi che de l'exposition Le Mystère Tchékhov,<br />

en couverture de ce numéro des Cahiers de la MJV.<br />

Photo Olivier Martel / akg images<br />

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