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Dépasser Stanislavski - Maison Jean Vilar

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L’acteur français, pour régler son jeu, a l’habitude de<br />

s’appuyer sur le texte, car dans le théâtre français l’action<br />

est le plus souvent refermée dans le texte. Ici, c’est hors du<br />

texte qu’est le jeu.<br />

Quand l’action est tapie dans le texte, elle se déroule<br />

dans un rythme plus rapide. L’acteur français est donc par<br />

essence un acteur rapide. Le rythme de La Cerisaie est lent,<br />

même pour des Russes. Or la lenteur française ne peut<br />

correspondre à la lenteur russe.<br />

Il faut donc que La Cerisaie, en français, se déroule pour des<br />

Français, avec une lenteur française et non avec une lenteur<br />

russe qui ne serait valable que pour des Russes.<br />

Mais cette lenteur constitue pour une troupe française un<br />

excellent exercice. Une véritable leçon de vie dense.<br />

Aussi, peu de pièces préoccupent-elles autant les acteurs<br />

qu’une pièce comme La Cerisaie.<br />

Rare est l’acteur qui se perd ; mais cela arrive pourtant.<br />

L’acteur vit alors un des meilleurs instants de sa vie<br />

artistique.<br />

Plus rare encore est la troupe qui arrive à se perdre. La<br />

Cerisaie est une des très rares œuvres où une troupe entière<br />

peut se perdre, ne plus croire qu’elle est dans un théâtre,<br />

mais croire profondément que cette famille existe, que cette<br />

maison existe et qu’on est dans la vie.<br />

Et cette métamorphose unique se fait avec des moyens de<br />

bon aloi ; car la pièce n’appartient ni au naturalisme, selon<br />

la mode de 1904, ni même au réalisme. Elle appartient à<br />

la vérité ; une vérité qui selon ses deux visages (la vérité<br />

a toujours deux visages) est faite à la fois de réel et de<br />

poésie : l’apparent et le secret. C’est, si l’on veut, du<br />

réalisme poétique… comme Shakespeare.<br />

C’est du moins ainsi que nous espérons la présenter. Au<br />

reste nous aimons tant La Cerisaie que cela nous autorise<br />

à la «manger» à notre guise : l’amour vaut plus que le<br />

respect.<br />

Mais là ne s’arrête pas notre amour pour La Cerisaie.<br />

La Cerisaie est comparable à ces tables gigognes qui<br />

s’emboîtent, presque à l’infi ni, les unes dans les autres.<br />

Le sujet intime, familier, universellement quotidien se<br />

développe, irrésistible, du particulier au général. Comme<br />

ces fl eurs japonaises qui poussent, par miracle, dans un<br />

verre d’eau dès qu’on y a jeté leur mystérieux comprimé.<br />

La Cerisaie a la valeur d’une «parabole». Partant de la<br />

vie courante elle se déploie, sans en avoir l’air, jusqu’aux<br />

confi ns des sphères métaphysiques.<br />

Et, chose extraordinaire, partant de l’individu observé dans<br />

son univers familier et quotidien, elle atteint rapidement le<br />

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