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Dépasser Stanislavski - Maison Jean Vilar

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Une vérité simple<br />

Georges Lavaudant<br />

Tchékhov c’est la vie, toute la vie. Il déjoue les classifi cations.<br />

Dans la même scène, il est capable de passer du grotesque<br />

à la sincérité, en une phrase, il fait se rencontrer le rire et<br />

l’émotion, en un seul personnage, il fait apparaître le ridicule<br />

et la profonde vérité. Il met en jeu le théâtre et, au même<br />

instant il détruit le théâtre. Il possède l’écriture la plus légère<br />

et la plus aigue, la plus magistrale et la plus innocente qui<br />

se puisse rencontrer au théâtre. Comme avec Mozart, on se<br />

demande comment il a pu avoir ce toucher. Le pessimisme<br />

ou l’optimisme ne dépendent que du metteur en scène ou<br />

l’acteur qui vont en proposer une interprétation.<br />

[…] La moindre phrase ouvre à une humanité, à un moment<br />

de vie et de vérité si éclatante qu’on ne peut plus s’en<br />

passer. Tchékhov met ses personnages à la vie et on ne peut<br />

pas les supprimer. Il nous est arrivé à tous de regrouper<br />

des personnages en un seul, c’est le jeu de l’économie du<br />

théâtre, mais avec Tchékhov c’est toujours une tristesse<br />

parce qu’on supprime la vie, même pour deux phrases…<br />

Il n’y a pas de personnages secondaires chez Tchékhov.<br />

[…] On peut croire que les personnages de Tchékhov<br />

sont placés sous le regard d’un observateur, comme des<br />

marionnettes, et que la vie réelle, mesquine et ordinaire<br />

est en jeu… Oui, apparemment. Mais l’art que soulève son<br />

écriture nous éloigne défi nitivement de cette plate approche<br />

du réel. Nous sommes, au contraire, dans une forme de<br />

représentation sublime, une alchimie s’opère, comme chez<br />

Mozart. Pour être réaliste, pour approcher la réalité, il ne<br />

s’agit pas de reproduire sur scène ce qui s’est passé dans la<br />

réalité. Euripide est le premier à avoir senti cela : l’illusion<br />

de l’authenticité passe par une économie du langage, une<br />

réduction de la langue qui produit un effet de surprise où le<br />

non-dit est aussi essentiel que l’exprimé.<br />

Le trash, la reproduction telle que la vie, le chromo, n’ont<br />

rien à voir avec Tchékhov.<br />

[…] Il se démarque de cette recherche du naturel, de ce qu’on<br />

prend pour la vraie vie. Il réinvente un art qui n’appartient<br />

qu’à lui. D’ailleurs, les yeux fermés, on le reconnaît : quatre<br />

ou cinq répliques de Tchékhov sont comme quatre ou cinq<br />

mesures d’un grand musicien, on l’identifi e à coup sûr, et<br />

pourtant cette musique est faite des mêmes notes que<br />

beaucoup d’autres, ces répliques, des mêmes mots banals.<br />

Qu’est-ce qui fait que ces bêtises sont tout à coup plus<br />

troublantes, plus énigmatiques ? Peut-être qu’on aimerait<br />

voir Les Bas-fonds de Gorki à la télévision sous le regard<br />

trash d’un puissant réalisateur, mais Tchékhov échappe<br />

défi nitivement à ce registre.<br />

[…] La question est d’accompagner la parole de Tchékhov<br />

au ras de sa vérité. C’est ce que j’ai cru comprendre de<br />

Cassavetes : saisir la violence et la déprime dans le même<br />

mouvement, ne pas être convenu dans la langueur ou le<br />

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