Dépasser Stanislavski - Maison Jean Vilar
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elle s’effondre en scène victime d’une<br />
hémorragie : cette grossesse extra-utérine<br />
est sans doute le fruit de sa vie dissipée,<br />
le calendrier ne correspond pas vraiment<br />
avec les allers-retours à Yalta…, mais peu<br />
importe ! Tchékhov la soigne avec une<br />
tendresse infi nie, relayé par <strong>Stanislavski</strong><br />
avec lequel va naître, à cette occasion ou<br />
grâce à elle, une véritable amité.<br />
Un séjour reposant dans la somptueuse<br />
propriété des Morozov, riche industriel qui<br />
subventionne les activités du Théâtre d’Art,<br />
ne rend pas sa santé au tuberculeux de plus<br />
en plus souvent sujet à de violentes quintes<br />
de toux. Selon un témoin, il lui arrive de<br />
déverser des fl ots de sang comme d’une<br />
bouteille renversée. Il est empêché d’écrire,<br />
recommande au Théâtre d’Art d’inaugurer<br />
son nouveau théâtre avec Les Bas-fonds<br />
de Gorki, qu’il trouve sensationnels,<br />
ne parvient guère à apaiser les guerres<br />
intestines entre Macha et Evguénia d’une<br />
part, Olga d’autre part – qui va mieux et<br />
a pu reprendre son activité d’actrice et<br />
d’intrigante. Il espère toujours qu’elle lui<br />
donnera un petit Pamphile. Ils se prennent,<br />
se déprennent, s’éloignent, s’accusent, se<br />
pardonnent…<br />
En août 1902, Tchékhov démissionne de<br />
l’Académie des Belles-Lettres au motif que<br />
l’élection de Gorki est annulée par le tsar.<br />
Une visite de Souvorine à Yalta semble<br />
jeter une ombre sur leur amitié, puis une<br />
nouvelle mise en scène de La Mouette (par<br />
le nouveau mari de Lika) s’inspirant de la<br />
méthode de <strong>Stanislavski</strong> – le comédien<br />
doit accepter l’effacement de sa propre<br />
personnalité au service du personnage<br />
– remporte un énorme succès au théâtre<br />
Alexandrinski de Saint-Pétersbourg,<br />
assurant des revenus dont Tchékhov<br />
commençait à avoir un urgent besoin. Le<br />
couple Anton-Olga va mieux : l’actrice a<br />
d’autant plus recouvré son dynamisme<br />
qu’elle perçoit un meilleur salaire grâce aux<br />
succès en série du Théâtre d’Art, surtout<br />
Les Bas-fonds, objet d’une fête délirante<br />
qui se termine en pugilat général.<br />
Tchékhov reste seul : souffrant des plus<br />
graves ennuis intestinaux, il a mal aux<br />
membres, il ne sait pas que la maladie<br />
s’attaque maintenant aux os. Les vingt<br />
pages de La Fiancée, son dernier récit,<br />
lui prendront trois mois d’effort. Olga se<br />
souvient parfois qu’elle a un mari malade et<br />
isolé à des centaines de kilomètres de ses<br />
divertissements effrénés, de ses intrigues<br />
pour écarter Vera Kommissarevskaïa et<br />
autres rivales de scène. Pour Anton, « tout<br />
est pour le mieux, les choses vont comme<br />
elles doivent aller… » Ils se rejoignent tout<br />
de même à Moscou, dans un cinquième<br />
étage, un calvaire pour lui, une demi heure<br />
d’ascension : « Tu peux rester dans le hall<br />
d’en bas, Schnaps (son teckel) te tiendra<br />
compagnie ! » Les médecins sont en complet<br />
désaccord et Tchékhov ne sait plus à quelle<br />
villégiature se vouer : Moscou ? Yalta ?<br />
Pour l’été 1903, se sera Fominskoïe, non<br />
loin de Babkino, le paradis de ses débuts…<br />
Il apprend que le nouveau propriétaire<br />
de Mélikhovo a fait abattre les arbres du<br />
verger, de même que Lopakhine rasera la<br />
cerisaie. Ou comment la vraie vie constitue<br />
la matière même de l’œuvre de Tchékhov…<br />
Apprenant la nouvelle d’un de ces pogroms<br />
que les antisémites, appuyés par la<br />
police tsariste, perpètrent de plus en plus<br />
souvent, il offre le récit de son choix à un<br />
éditeur de Varsovie en signe de solidarité :<br />
« C’est pour moi un plaisir de savoir qu’un<br />
de mes textes traduit en yiddish se trouve<br />
dans ce recueil qui doit venir en aide aux<br />
victimes de Kichinev. »<br />
De retour à Yalta, Olga veille jalousement<br />
sur la santé de son mari, et peut-être plus<br />
sérieusement encore sur son assiduité à<br />
écrire la nouvelle pièce que le Théâtre d’Art<br />
attend impatiemment. Quand le manuscrit<br />
de La Cerisaie leur parvient enfi n, en<br />
octobre, ils sont enthousiastes, certes,<br />
mais pleins d’interrogations : s’agit-il du<br />
drame d’une noblesse qui disparaît sous les<br />
Aux côtés d'A. P. Tchékhov, sa mère,<br />
sa sœur et son épouse Olga Knipper,<br />
à Yalta, 1902. Photo L.V. Sredin.<br />
Collection Musée Melikhovo.<br />
LES CAHIERS DE LA MAISON JEAN VILAR – N° 110 28