Dépasser Stanislavski - Maison Jean Vilar
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La diffi culté<br />
de vivre<br />
Maurice Bénichou<br />
Il m’est toujours apparu en lisant le théâtre et les récits de<br />
Tchékhov, qu’il était derrière chacun de ses personnages<br />
mais qu’il ne s’y attardait jamais ; il entre avec eux dans<br />
leur monde et se retire aussitôt pour les regarder vivre. Il<br />
est clair que tous ces personnages, ceux qui sont aveuglés<br />
par leur rêve et ceux qui se regardent vivre, qui ironisent sur<br />
leur existence, presque tous cherchent à élever leur esprit, à<br />
devenir plus fraternels. Tchékhov écrivait « Entre Dieu existe<br />
et Dieu n’existe pas, il y a un espoir immense que l’homme<br />
sage et sincère traverse avec une grande diffi culté. Le Russe<br />
ne connaît que l’un de ces deux extrêmes, car ce qu’il y a<br />
entre les deux ne l’intéresse pas. C’est pourquoi d’ordinaire<br />
il ne sait rien ou presque ».<br />
Mais il décrit ce monde, sans haine, sans mépris, sans<br />
jugement défi nitif, avec une compassion magnifi que ; il parle<br />
de la diffi culté de vivre, du temps qui passe et qui détruit<br />
l’étincelle divine qui était en chacun, du chemin inéluctable<br />
qui nous conduit vers le froid et l’obscurité. Il dit « Des milliers<br />
d’hommes soulevaient une cloche, ils y avaient mis tant de<br />
peine, de patience et d’argent et tout à coup la cloche est<br />
tombée et s’est brisée, tout à coup sans rime ni raison ! ».<br />
Il dit aussi que la vie est magnifi que, absurde, dérisoire.<br />
On n’a jamais pu classer son théâtre dans la catégorie :<br />
comédie, vaudeville ; drame, farce tragique ; d’ailleurs, il ne<br />
voulait appartenir à aucun courant, il voulait avancer seul<br />
avec fermeté et modestie sur la route qu’il s’était choisie et<br />
raconter la vie telle qu’il la voyait, instant par instant, détail<br />
par détail, comme celui qui n’aurait ni langue, ni oreilles,<br />
seulement des yeux, des yeux d’une acuité si grande qu’ils<br />
verraient avant tous les gestes inutiles et parasites qui nous<br />
détournent de notre chemin.<br />
M. B.<br />
Les Trois Sœurs, programme du CADO d’Orléans , 1988<br />
Maurice Bénichou est acteur et metteur en scène. Il joua sous la<br />
direction de Peter Brook dans La Cerisaie, au Théâtre des Bouffes<br />
du Nord, en 1981 et 1983. Il monta lui-même Les Trois Sœurs de<br />
Tchékhov au Festival d’Avignon, en 1988.<br />
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