Dépasser Stanislavski - Maison Jean Vilar
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dont on lira plus loin le témoignage,<br />
Mathias Langhoff, Frank Castorf, Peter<br />
Stein... à Taganrog, au bord de la mer<br />
d’Azov, pour visiter la maison où naquit<br />
l’auteur de La Mouette, avant d’être<br />
reçue par le président Dmitri Medvedev<br />
lui-même, pendant plus d’une heure,<br />
loin des caméras cette fois.<br />
Le Festival Tchékhov est dirigé par<br />
Valéri Chadrine dont l’énergie et la<br />
sympathie sont légendaires. Président<br />
de la Confédération internationale des<br />
Unions théâtrales, il est le directeur<br />
artistique pour son pays des années<br />
croisées France-Russie. Une occasion<br />
unique d’échanges. L’opération<br />
dépasse toutefois largement les<br />
deux nations puisqu’une tournée<br />
de spectacles est organisée dans 36<br />
pays jusqu’en décembre 2010. Audelà<br />
d’une célébration opportune, les<br />
organisateurs entendent faire valoir<br />
le patrimoine tchékhovien dans sa<br />
diversité.<br />
Un colloque était ainsi organisé<br />
pendant ces “Journées Tchékhov”<br />
à la <strong>Maison</strong> Pachkov, magnifi que<br />
palais néoclassique de la fi n du 18 ème<br />
siècle, baigné dans une lumière<br />
blanche, actuellement bâtiment de la<br />
Bibliothèque Lénine dont les fenêtres<br />
donnent sur les remparts du Kremlin.<br />
Un cadre “surréel” où les intervenants<br />
se devaient d’évoquer l’œuvre du<br />
dramaturge et nouvelliste.<br />
Malgré les exégèses et les interventions<br />
de Declan Donovan ou de Peter Stein,<br />
malgré la brillante communication<br />
de Jacques Lassalle aux résonnances<br />
sarrautiennes confi ant que Tchékhov,<br />
qu’il a somme toute peu monté,<br />
l’a toujours accompagné dans sa<br />
démarche artistique, et évoquant les<br />
“récupérations” dont l’œuvre a fait<br />
l’objet sous les différents régimes<br />
politiques, malgré l’intervention de<br />
Béatrice Picon-Vallin, spécialiste du<br />
théâtre russe au CNRS, Anton Pavlovitch<br />
a gardé là encore tout son mystère.<br />
Une intervenante alla jusqu’à parler<br />
“d’algorythme tchékhovien”... Notre<br />
mauvais esprit, trompé sans doute<br />
par les raccourcis de la traduction<br />
simultanée, nous conduisit alors à<br />
avancer l’hypothèse que Tchékhov<br />
est dans tout, et que tout est dans<br />
Tchékhov !<br />
Nous n’avons cessé de vérifi er cette<br />
intuition, confi rmée au fur et à mesure<br />
de nos découvertes dans les musées qui<br />
nous ont ouvert leurs collections, aussi<br />
bien qu’à l’occasion des spectacles<br />
qu’il nous a été donné de voir. Des<br />
performances souvent conçues comme<br />
des variations autour d’un mythe, avec<br />
quelques clichés : la neige, des jardins<br />
aux cerisiers en fl eurs, une coupe de<br />
champagne bue sur un lit de mort, le<br />
transport du défunt dans un wagon<br />
d’huîtres… Il fallut parfois résister pour<br />
que “notre” Tchékhov ne disparaisse<br />
pas, emporté par un torrent d’audaces<br />
spectaculaires certes mais souvent<br />
gratuites ; et aussi lutter contre nousmêmes<br />
cette fois pour que Tchékhov<br />
ne soit pas réinventé, déformé, tant<br />
nos découvertes nous invitaient<br />
parfois à le confondre avec Hugo ou à<br />
le rapprocher de Céline. Il partage avec<br />
le premier un humanisme généreux, le<br />
lyrisme en moins. Il y a en Tchékhov une<br />
espèce d’Hugo économe, préoccupé<br />
des misères et des misérables mais<br />
auxquels, lui, ne consacre pas de<br />
développement romanesque, faute de<br />
héros. Avec Céline, autre médecin de la<br />
littérature, il partage une vision clinique<br />
du monde et des êtres, sans sacrifi er à<br />
l’illusion d’un monde meilleur et donc<br />
à la chimère politique.<br />
Ces correspondances nous ont quelque<br />
peu éclairés, sans faire disparaître<br />
le mystère. Tchékhov est resté pour<br />
nous un autre, un génie exotique. On<br />
est toujours l’autre pour l’autre, on le<br />
sait. Sans doute Tchékhov trouvaitil<br />
exotique notre côte d’Azur qu’il<br />
affectionnait, buvant du champagne,<br />
jouant au casino et suivant les démêlés<br />
de l’Affaire Dreyfus dans L’Aurore !<br />
Nous avons suivi l’itinéraire inverse,<br />
heureusement guidés par les vapeurs<br />
de vodka et des kilos d’œufs de<br />
saumon, à défaut de ce caviar<br />
qu’Anton Tchékhov, lui, consommait<br />
ordinairement… Décidément, Tchékhov<br />
est dans tout et tout est dans Tchékhov !<br />
<br />
<br />
À Moscou, l'entrée du cimetière<br />
et l'hommage rendu sur la tombe<br />
de Tchékhov, le 29 janvier, pour<br />
le 150 e anniversaire de sa mort.<br />
R. F.<br />
Le Musée du Théâtre d'Art, Moscou.<br />
Photos Rodolphe Fouano.<br />
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