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Dépasser Stanislavski - Maison Jean Vilar

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Le théâtre de Tchékhov subira différentes métamorphoses<br />

scéniques suivant les époques. Tout d’abord, en 1922-<br />

23, en partance pour les USA, pour fuir les attaques de<br />

l’avant-garde révolutionnaire, le Théâtre d’Art présente son<br />

« modèle » tchékhovien au cours de tournées en Europe.<br />

Il reçoit en France un accueil favorable, certes, mais la critique<br />

reste réservée devant une troupe qu’elle trouve fatiguée,<br />

et puis Tchékhov n’est pas encore connu, apprécié, bien<br />

traduit. Ensuite, les Pitoëff imposeront avec leur traduction,<br />

mais dans une grande simplifi cation des décors visuels et<br />

sonores, une vision nostalgique de l ’ « âme russe » et de<br />

la « petite musique » tchékhovienne : ils apporteront avec<br />

eux leur exotisme slave et cette lecture creusera un sillon<br />

profond dans l’imaginaire français autour de Tchékhov : la<br />

voix de Tchékhov sera leur voix pendant près de vingt ans…<br />

La grande rupture avec cette tradition originelle intervient<br />

en 1960 avec le Tchèque Otomar Krejca et sa mise en scène<br />

de La Mouette dans les décors de Josef Svoboda. On a dit<br />

que Krejca montrait un Tchékhov cruel, mais je le qualifi erais<br />

plutôt de lucide, loin de la douceur nostalgique, sentimentale<br />

et folklorique qui appartenait à la lecture précédente.<br />

Beaucoup plus proche du Tchékhov médecin, Krejca a<br />

opéré un travail au scalpel sur l’analyse dramaturgique,<br />

l’alternance d’action et d’inaction, les relations entre des<br />

forces antagonistes…, ouvrant le chemin à des lectures de<br />

plus en plus fortes et décapées. J’ai ainsi souvenir, à Moscou,<br />

d’une version scénique de La Mouette par Anatoli Efros, fi n<br />

1967, où les situations étaient grattées jusqu’à l’os, avec<br />

des robes aux couleurs criardes, vertes et roses, des acteurs<br />

grinçants, parlant haut, d’une version esthétiquement —<br />

sinon politiquement — incorrecte qui fut interdite au bout<br />

de quelques représentations : elle n’appartenait pas à la<br />

doxa du moment. Devait-elle pour autant quelque chose<br />

à Meyerhold ? Elle suivait en tout cas la voie ouverte par<br />

Krejca qui lui-même retrouvait le langage de la métaphore<br />

que Meyerhold, metteur en scène-poète, avait contribué a<br />

créer.<br />

On trouve un écho direct de la lettre de Meyerhold de 1904<br />

et de cette vision sonore d’un bal trépignant dans la mise en<br />

scène que Peter Brook fera de La Cerisaie en 1981-83. Il s’en<br />

servira très lisiblement dans sa représentation de l’acte III,<br />

avec ses fl ots continus de danseurs, sa musique nasillarde,<br />

ses piétinements et ses claquements de mains, sans pour<br />

autant signer une mise en scène meyerholdienne.<br />

En fait, il est diffi cile de se faire une idée des mises en scène<br />

tchékhoviennes de Meyerhold : la trace essentielle dont<br />

nous disposons est son approche de 33 évanouissements :<br />

il y relie L’Ours, Le Jubilé, La Demande en mariage, par<br />

un moment commun mis en exergue où les personnages<br />

éprouvent des malaises, bien repérés par le docteur<br />

Tchékhov et comptabilisés par le metteur en scène : l’un<br />

étouffe, l’autre demande de l’eau, l’autre encore vacille…<br />

Ces évanouissements sont accompagnés de musique,<br />

pour les hommes à l’aide d’instruments à vent, pour les<br />

femmes d’instruments à cordes ; Grieg, Johann Strauss,<br />

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