You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
162 JOURS DE FAMINE ET DE DÉTRESSE<br />
Ma mère me fit .en passant signe de venir, mais<br />
je vis de lojn accourir la femme, rouge, hagarde,<br />
hah'lante. J'eus le temps de me cacher derrière<br />
un arbre, car elle m'aurait écharpée, et quand<br />
elle fut passée, je me sauvai. Rejoindre ma<br />
famille, il ne fallait pas y songer pour l'instant.<br />
Je fis un long détour, et aboutis au pont de Laeken.<br />
C'était fête dans ce faubourg : il y avait une<br />
foule rigolante. Près du pont, au bord du canal,<br />
le camion était arrêté, ma mère et les enfants à<br />
côté, tnon père, ivre, couché à l'intérieur. Ma<br />
mère me mit au courant : la femme les ayant rattrapés,<br />
avait prévenu les nouveaux propriétaires<br />
ql!e nous ne payions personne, et ceux-ci avaient<br />
rendu l'argent du demi-mois de loyer donné en<br />
compte. Et nous voilà dans la rue ! Mon père,<br />
déjà pris de boisson, s'était enivré complètement,<br />
et, comme il ne rentrait pas avec la voiture, il<br />
allait sans doute perdr sa place.<br />
La honte et l'angoise m'affolèrent. Mon frère<br />
Hein, qui avait seize ans; se ' trouvait là, mortifié<br />
comme moi. Je lui dis :<br />
- Viens, Hein, nous ne pouvons rester, comme<br />
des vagabonds, à côté de ce véhicule et de cet<br />
ivrogne. Allons-nous-en, nous trouverons bien un<br />
gîte.