60Jérôme Wilsonla presse belge. La Libre Belgique juge «qu’avec un réalisme habile, M. Rey aconstaté qu’il était vraiment inutile <strong>de</strong> s’énerver en ce qui concerne le parallélismeentre l’élargissement et l’appr<strong>of</strong>ondissement». 55 Le même <strong>journal</strong> salue l’action <strong>de</strong>la délégation belge qui «a joué un rôle d’autant plus efficace qu’il fut réalistementmo<strong>de</strong>ste». Au cours <strong>de</strong>s premiers mois <strong>de</strong> 1970, le nouvel étage <strong>de</strong> la «fusée»européenne est commandé par la Belgique qui assure la prési<strong>de</strong>nce en ces premiersmois <strong>de</strong> l’année 1970. On y retrouvera une action axée avant tout sur unetraditionnelle vocation conciliatrice, plus soucieuse <strong>de</strong> dégager le meilleur <strong>de</strong>spositions alleman<strong>de</strong> et française que <strong>de</strong> «piquer un sprint» à la façon hollandaise. 56Au nom <strong>de</strong> la Commission, Jean Rey assure la prési<strong>de</strong>nce d’une Commission dontla signification politique s’est affirmée à La Haye. Au sommet, Rey est arrivé seul,en voiture, et n’a bénéficié d’aucune réception <strong>of</strong>ficielle. La Commission nebénéficie d’aucune place dans le protocole, mais il est acquis qu’elle a son mot àdire à la table <strong>de</strong>s grands.Au niveau <strong>de</strong>s gouvernements, le baron Snoy prési<strong>de</strong> le Conseil <strong>de</strong>s ministres<strong>de</strong>s Finances. C’est à lui qu’incombera la responsabilité <strong>de</strong> trouver un Luxembourgeoissusceptible d’assurer l’équilibre <strong>de</strong>s nationalités dans le groupe ad hocsur la politique monétaire. Il fera coup double en proposant Pierre Werner commeprési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> ce groupe. Quant à Pierre Harmel, il mène le jeu aux Affairesétrangères, et à ce titre est investi <strong>de</strong> la ru<strong>de</strong> tâche <strong>de</strong> rendre effective l’union politique.L’accent mis sur la finalité politique <strong>de</strong> la Communauté, sur laquelle Brandtinsiste dans son discours d’ouverture, 57 contente particulièrement les Belges. Ilss’engouffreront dans cette voie, et le paragraphe 15 du communiqué final <strong>de</strong> laConférence servira <strong>de</strong> point <strong>de</strong> départ pour les travaux d’un groupe longtempsprésidé par Etienne Davignon. 58 A défaut d’accord sur un plan par étapes commepour l’union économique et monétaire, Harmel et Davignon lanceront <strong>de</strong>s consultationsrégulières <strong>de</strong>s ministères <strong>de</strong>s Affaires étrangères qui s’avéreront être un succédanéutile.Les déclarations d’intentions sont nombreuses. Les résolutions concrètes sontcependant encore vagues, comme en témoigne l’épiso<strong>de</strong> monétaire. L’imageproposée ici reflète plutôt une pr<strong>of</strong>usion désorganisée d’initiatives, tant <strong>de</strong> la part<strong>de</strong>s gouvernements (trois plans nationaux majeurs d’intégration monétaire sontdiscutés) que <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> pression (Comité d’Action pour les Etats-Unisd’Europe, Ligue européenne <strong>de</strong> Coopération économique, …). La réalité est sansdoute différente. La cohérence <strong>de</strong> toutes ces propositions se fait par l’entremise <strong>de</strong>scontacts interpersonnels (entre Pompidou et Brandt; entre Scheel, Schumann etHarmel; entre Snoy et Barre).Les Belges n’ont certes pas eu la volonté ni l’ambition d’être les moteurs dusuccès à La Haye. Mais, comme le montre La Libre Belgique, entre les géants55. La Libre Belgique, 3 décembre 1969, p.6.56. Ibid.57. Voir A. WILKENS, Westpolitik, Ostpolitik and the Project <strong>of</strong> the Economic and Monetary Union,in: Journal <strong>of</strong> European Integration History, 1(1999), p.80.58. V. DUJARDIN, op.cit.
Négocier la relance européenne: les Belges et le sommet <strong>de</strong> La Haye 61allemand et français, ils ont su se tailler un rôle <strong>de</strong> «poisson-pilote» à leur mesure.La Belgique se distingue <strong>de</strong> son voisin hollandais auquel Pompidou reproche <strong>de</strong> se«gargarise[r] avec le vocabulaire européen à la manière démo-chrétienne» pourensuite faire «tout autre chose, [agir] tout autrement» 59 et joue davantage la carteluxembourgeoise (l’information circule bien entre les <strong>de</strong>ux chancelleries, et lanomination <strong>de</strong> Werner sur proposition <strong>de</strong> Snoy est significative à cet égard).Humbles mais ambitieux, cherchant résolument à rétablir un équilibre en soutenantla France mise en minorité, peut-être aux dépens <strong>de</strong> leurs intérêts propres et <strong>de</strong> leurpuissance <strong>de</strong> négociation, les Belges ont su gagner la confiance <strong>de</strong> leurs partenaires(et perdu un peu <strong>de</strong> crédibilité aux yeux <strong>de</strong>s Britanniques). Ils ont contribuémaintes fois à maintenir le navire à flots, en servant d’intermédiaire, voire d’arbitre,et permis ainsi le développement d’une démarche d’intégration résolue maiscoopérative qui fut l’une <strong>de</strong>s clés nécessaires du succès en <strong>de</strong>mi-teinte et laborieuxmais réel <strong>de</strong> La Haye.59. «En Hollan<strong>de</strong>, on se gargarise avec le vocabulaire européen à la manière démo-chrétienne, puis onfait tout autre chose, on agit tout autrement”. Voir Déjeuner Elysée – 15.12.1970 – Discours <strong>de</strong>Georges Pompidou, in: Archives Robert Marjolin, Fondation Jean Monnet (Lausanne), ARM 25/1/28. Voir également O. MAUNOURY, La conférence <strong>de</strong> La Haye et les relations entre la Franceet les Pays-Bas, in: M. DUMOULIN et G. DUCHENNE (Textes réunis par), Les petits Etats et laconstruction européenne. Actes <strong>de</strong> la VIIe Chaire Glaverbel d'étu<strong>de</strong>s européennes, P.I.E.-PeterLang, Bruxelles, 2002.