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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

L’autre principe est celui du balancement des organes « en vertu [duquel] un organe<br />

normal ou pathologique n’acquiert jamais une prospérité extraordinaire, qu’un autre de son<br />

système ou de ses relations n’en souffre dans une même raison » 1 .<br />

Parce que les monstres sont des organismes vivants, ils suivent les principes de la<br />

nature, et la théorie de l’unité de composition permet justement de comprendre en quoi ils<br />

sont encore de l’ordre, encore du régulier 2 . Mais dès lors que nous vérifions que la méthode<br />

fonctionne et que nous réussissons à réduire le désordre apparent des monstres à un ordre réel,<br />

nous retombons sur le paradoxe déjà souligné : si les monstres sont de l’ordre et du régulier,<br />

en quoi sont-ils cependant un autre ordre et une autre régularité ? Si la théorie de l’unité de<br />

composition rend bien compte de l’ordre, rend-elle aussi compte de l’altérité dans l’ordre ?<br />

Autrement dit, si les monstres suivent les règles, qu’est-ce qui va expliquer l’écart que<br />

cependant ils introduisent dans l’ordre et la régularité ? Il faut bien expliquer la spécificité des<br />

monstres dans la production de la nature. C’est pour répondre à ce problème qu’E. Geoffroy<br />

Saint-Hilaire introduit, dans son analyse de l’anencéphale, l’idée que le monstre a subi un<br />

arrêt de formation ou de développement 3 .<br />

1<br />

E. Geoffroy Saint-Hilaire, Philosophie anatomique. Des monstruosités humaines, op. cit., discours<br />

préliminaire, p. XXXIII. Les deux principes que nous venons à l’instant d’énoncer ne s’ajoutent pas, à proprement<br />

parler, au principe de l’unité de composition organique, comme s’ils étaient deux autres principes : ils<br />

appartiennent au principe de l’unité de composition, qu’ils infléchissent pourtant en le dynamisant : il n’est plus<br />

question de trouver des combinaisons « géométriques » des éléments organiques, mais d’interpréter les<br />

transformations du plan organique comme un développement historique. Sur ce point, cf. Laurent Goulven, « Le<br />

cheminement d’Etienne Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844) vers un transformisme scientifique », op. cit.<br />

2 « Les irrégularités n’atteignent guère que la forme, et, quoique extrêmes, elles ne vont jamais jusqu’à changer<br />

les relations des parties », ibid., p. 21. Voir aussi p. 101 : « Quand je commençai ces recherches, j’étais parti de<br />

plus haut : car j’avais moins pour objet d’introduire un peu d’ordre dans la riche mine des acéphalies, que<br />

d’établir que toutes ces monstruosités, comme on les appelle, ne sont point vagues et indéfinies, ainsi qu’on le<br />

pense généralement ; qu’il n’y a point de caprices dans ces prétendues désordres ; que ces irrégularités sont<br />

vraiment renfermées dans de certaines limites, et qu’enfin toutes ces conformations organiques, toutes bizarres<br />

qu’elles paraissent, ont des motifs assignables, puisqu’elles dépendent de causes qui ne demandent qu’un peu<br />

d’attention pour être appréciées ».<br />

3 Jean-Frédéric Meckel le Jeune a proposé également une théorie de l’unité de composition ainsi que l’idée que<br />

l’anormal correspond à un développement qui n’est pas allé à son terme. Dans une note des Recherches sur la<br />

production artificielle des monstruosités, Camille Dareste fait une mise au point sur le rapport entre les deux<br />

savants quant à l’idée d’arrêt de développement: « Geoffroy Saint-Hilaire fit connaître, pour la première fois, ses<br />

idées sur l’arrêt de développement, comme fait tératogénique, dans un mémoire sur l’anencéphalie, lu à<br />

l’Académie des sciences le 19 mars 1821. Meckel, qui assistait à la séance, réclama la priorité de cette théorie, et<br />

Geoffroy Saint-Hilaire fit droit à sa réclamation. Voir la Philosophie anatomique, t. II, p. 153. Plus tard, en 1827,<br />

Meckel fit observer que l’arrêt de développement, tel que l’entendait Geoffroy Saint-Hilaire, n’était pas<br />

entièrement conforme à ce qu’il avait désigné sous ce nom, parce que Geoffroy Saint-Hilaire attribuait l’arrêt de<br />

développement à des causes extérieures, tandis que, pour lui, l’arrêt de développement résultait d’une condition<br />

inhérente à l’embryon lui-même. Geoffroy Saint-Hilaire répondit que Meckel faisait revivre la théorie de la<br />

préexistence des monstruosités, théorie absolument inconciliable avec l’arrêt de développement. En réalité, les<br />

deux adversaires ne se comprenaient pas. Meckel, pas plus que Wolff son maître, n’admettait l’existence des<br />

germes originairement monstrueux ; mais il croyait, comme Wolff, que le germe est prédisposé à la monstruosité<br />

dès l’époque de la fécondation. On comprend donc comment il pouvait admettre l’arrêt de développement, mais<br />

en le faisant dériver d’une cause intérieure, tandis que Geoffroy Saint-Hilaire l’attribuait à une cause extérieure<br />

au germe » (op. cit., note 2, p. 193). Même s’ils reconnaissent que Meckel est « un partisan modéré » du<br />

préformationnisme, Georges Canguilhem, Georges Lapassade, Jacques Piquemal, Jacques Ulmann, dans Du<br />

développement à l’évolution au XIX e siècle, Paris, quadrige / PUF ; 2003, pp. 30-32, accentuent l’opposition entre<br />

Meckel, qui conserve une attitude préformationniste se conciliant mal avec la théorie de l’arrêt de<br />

développement, et E. Geoffroy Saint-Hilaire choisissant très clairement l’épigenèse. Quant à la théorie de l’unité

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