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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

dans laquelle les lois embryologiques s’appliquent, qui les entraîne là où elles ne seraient<br />

jamais allées, ou encore qui imprime « un changement dans la direction de la force qui<br />

détermine l’apparition successive et la coordination des diverses parties de l’embryon » 1 , c’est<br />

la contingence d’une existence qui, parfois, fait de mauvaises rencontres. De l’imprévu<br />

survient ; et la monstruosité, tout en rompant la lignée, appartient bien à l’histoire de ses<br />

parents. L’accident est ainsi spatio-temporel, mais le véritable sujet de l’accident n’est pas<br />

tant le corps du monstre que celui de ses géniteurs. Pourquoi le monstre se comprendrait-il<br />

lui-même comme un accident ? N’est-il pas, comme tous les autres organismes vivants, pris<br />

dans la nécessité des lois embryologiques ? Il est tout ce qu’il peut et, à ce titre, aussi<br />

« parfait » que n’importe quel autre organisme. Du point de vue des géniteurs certes, le<br />

monstre est bel et bien un accident, qui suscite donc la question : que s’est-il passé ? A quel<br />

irrémédiable avons-nous affaire ? Cet irrémédiable est celui de l’histoire des corps vivants.<br />

Mais s’il est un accident survenu dans l’existence des parents, peut-on dire qu’il est un<br />

accident de la vie ? La question est celle-ci : que s’est-il passé dans la vie, pour la vie ? S’il<br />

est un accident de la vie, alors nous reconduisons la vie comme substance, à qui l’on attribue<br />

des qualités accidentelles qui ne changent rien à ce qu’elle est. Faire du monstre un accident<br />

de la vie, c’est faire de lui un aspect inessentiel de la vie. Or tout notre travail tend à montrer<br />

que le monstre ne peut être tenu pour l’inessentiel de la vie. En effet, on ne peut penser sa<br />

possibilité si la vie n’est pas déjà en soi de l’écart ; les vivants, dans leur vivre, ne peuvent<br />

créer de l’écart, ne peuvent être normatifs, que parce que la vie constitue déjà en soi un écart<br />

fondamental, fournit la condition ontologique grâce à laquelle les écarts peuvent survenir. Si<br />

le monstre est biologiquement possible, c’est parce qu’il l’est ontologiquement : il qualifie<br />

donc le sens d’être de la vie, et c’est pourquoi il n’est pas seulement, et peut-être même<br />

surtout pas, ce qui arrive à des corps, ou un effet corporel. Il est affaire de la vie dans les<br />

corps, et ne peut se réduire à n’être qu’un certain état de certains corps.<br />

Si nous mettons de côté l’idée d’accident pour caractériser la survenue à même la vie<br />

du monstre, est-on plus proche de ce qu’il convient de penser en le décrivant comme un<br />

avènement au sein de la vie ? Car, s’il est affaire de vie, n’est-il pas précisément, comme nous<br />

l’avons vu, ce qui la manifeste au plus haut point, de sorte qu’il serait l’avènement même de<br />

la vie dans l’ordre phénoménal (c’est-à-dire dans le plan de l’actualité des formes vivantes) ?<br />

Ce qu’il y a de gênant dans l’idée d’avènement, c’est que la chose qui advient a comme déjà<br />

été annoncée ; il s’agit dès lors de saisir et retracer l’apparaître de la chose, sa venue en<br />

propre, entendu que cela n’est possible que si elle se précède. L’avènement déploie un<br />

devenir-même. Or si le monstre nécessite que la vie puisse le laisser être et apparaître, il ne<br />

peut certainement pas s’annoncer. La raison en est simple et a déjà été soulignée : dans la<br />

mesure où les vivants accomplissent un mouvement d’actualisation, ils ne peuvent<br />

qu’introduire de la différence et différer de la virtualité qu’ils actualisent. Rien n’annonce le<br />

1 Dareste, ibid., p. 21.

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