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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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307<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

Voyez-vous, s’il n’y avait pas de résistance, il n’y aurait pas de rapports de pouvoir. Parce<br />

que tout serait simplement une question d’obéissance. Dès l’instant où l’individu est en<br />

situation de ne pas faire ce qu’il veut, il doit utiliser des rapports de pouvoir. La résistance<br />

vient donc en premier, et elle reste supérieure à toutes les forces du processus ; elle oblige,<br />

sous son effet, les rapports de pouvoir à changer. Je considère donc que le terme de<br />

« résistance » est le mot le plus important, le mot-clé de cette dynamique. 1<br />

L’idée importante que Foucault ajoute dans ce passage est que la résistance reste<br />

supérieure aux pouvoirs. Or cette idée de supériorité n’est pas claire du tout. On comprend<br />

bien qu’il ne faut pas que les résistances s’épuisent pour que les relations de pouvoir puissent<br />

continuer – et de fait, ces dernières continuent, de sorte qu’il faut bien admettre la réalité<br />

d’une supériorité des résistances. Cependant, le terme de résistance est gênant, car il n’y a de<br />

résistance que par rapport à des pouvoirs, si bien que nous pouvons accuser Foucault de<br />

formuler un cercle tautologique des plus stériles. En effet, les pouvoirs renvoient aux<br />

résistances, qui ne peuvent être qualifiées telles qu’en relation avec des pouvoirs. Si les<br />

résistances permettent aux pouvoirs de se déployer, ces derniers « fondent » le sens même de<br />

la résistance. Comment peut-on dire dans ces conditions que la résistance vient en premier et<br />

est supérieure aux forces des pouvoirs ? Foucault cherche à sortir du cercle tautologique de la<br />

relation de pouvoir en essayant de fonder cette relation même. Mais comme par ailleurs il<br />

refuse tout recours à des entités métaphysiques qui se découvriraient à travers une enquête sur<br />

le fondement, il est amené à faire d’un des termes de la relation de pouvoir cela même qui<br />

fonde cette relation. D’où le problème suivant : comment la résistance peut-elle fonder une<br />

relation dans laquelle, par ailleurs, elle reçoit son sens même de résistance ?<br />

Mais s’agit-il bien là d’une recherche de fondement ? Foucault ne cherche-t-il pas<br />

plutôt à savoir d’où provient cette relation ? Or la recherche de la provenance n’est pas la<br />

recherche d’un fondement qui se tiendrait en deçà de ce dont il est le fondement. La<br />

supériorité de la résistance n’émane pas d’une essence secrète et première qui se tiendrait en<br />

deçà de la relation de pouvoir et qui ne serait pas épuisée par elle. La résistance n’a à ce titre<br />

aucune supériorité ontologique. « La recherche de la provenance ne fonde pas, tout au<br />

contraire : elle inquiète ce qu’on percevait immobile, elle fragmente ce qu’on pensait uni ; elle<br />

montre l’hétérogénéité de ce qu’on imaginait conforme à soi-même. » 2 Si la résistance est le<br />

mot-clé de la dynamique de pouvoir, c’est précisément parce qu’elle n’est en rien une<br />

puissance réactive, mais bien une puissance dynamisante qui met en mouvement, qui inquiète,<br />

qui fragmente, qui différencie. Cette puissance est très précisément nommée par Foucault : la<br />

liberté. La résistance comme déploiement effectif d’une liberté, c’est-à-dire comme pratique<br />

de liberté, est toujours supérieure à toutes les forces des processus de pouvoir. Cela signifie<br />

exactement ceci : les résistances et les processus de pouvoir ne sont que des interprétations de<br />

la liberté. En effet, la résistance est le nom de la liberté que les pouvoirs dévoilent ; et ceux-ci<br />

le nom de la liberté lorsqu’elle va se laisser déterminer. En d’autres termes, les relations de<br />

1 Ibid., pp. 1559-1560.<br />

2 « Nietzsche, la généalogie, l’histoire », Dits et écrits, I, op. cit., n° 84, p. 1010.

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