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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

Tout ce qui affectait la mère, affectait aussi le foetus ; que les impressions de l’une agissaient<br />

sur le cerveau de l’autre, et on a attribué à cette influence imaginaire les ressemblances, les<br />

monstruosités, et surtout les taches qu’on voit sur la peau. 1<br />

Le principe de la critique de Buffon est la même que pour celle du<br />

préformationnisme : cette explication n’a aucune valeur physique. S’il y a intervention de<br />

l’imagination, elle n’est pas là où on la croit. En effet, donner à l’imagination de la mère un<br />

pouvoir d’influence sur la formation et le développement du fœtus relève de l’imagination. Ce<br />

n’est qu’après coup que l’on fait le lien entre la forme de l’enfant et un événement passé<br />

arrivé à la mère, ou que l’on détecte une ressemblance entre les taches de couleur sur la peau<br />

et les objets des appétits de la mère :<br />

Toute tache doit nécessairement avoir une figure qui ressemblera, si l’on veut, à quelque<br />

chose ; mais je crois que la ressemblance que l’on trouve dans celles-ci dépend plutôt de<br />

l’imagination de ceux qui les voient, que de celle de la mère. 2<br />

Buffon taxe ainsi d’imaginaire une théorie qui fait jouer l’imagination. Nos<br />

impressions sensibles et les émotions qui en découlent ne peuvent évidemment pas se<br />

retrouver dans la nature de l’objet. Un objet n’est pas effrayant par nature, c’est celui qui le<br />

perçoit qui peut le trouver effrayant. Un objet réel étant sans commune mesure et étranger à<br />

l’émotion qu’il suscite, inversement une émotion ne peut pas être une image exacte d’un objet<br />

et la réaliser dans l’ordre du réel. Une image n’a aucun pouvoir sur le réel et encore moins sur<br />

l’organisation des molécules organiques, puisqu’elle n’est par nature qu’un effet 3 .<br />

b) La théorie de l’erreur de la nature<br />

La théorie de l’erreur de la nature est autrement plus importante, et sa prise en compte<br />

par Buffon va l’amener à préciser davantage les enjeux rationnels attachés au fait monstrueux.<br />

Enfin, cet enfant ressemblait fort au tableau, sur lequel sa mère l’avait formé par la force de son imagination.<br />

C’est une chose que tout Paris a pu voir aussi bien que moi, parce qu’on l’a conservé assez longtemps dans de<br />

l’esprit de vin », De la recherche de la vérité, Paris, Vrin, 2006, livre II, première partie, chapitre VII, § 3, pp.<br />

283-284. On peut s’étonner de voir Malebranche épouser ce genre d’histoire, même s’il dit avoir vu l’enfant.<br />

Mais s’il l’a justement vu, c’est parce que, par ailleurs, il a une conception de la formation du fœtus qui fait jouer<br />

un rôle important à l’imagination dans la transmission des caractères de l’espèce : « Il est vrai que cette<br />

communication du cerveau de la mère avec celui de son enfant, a quelquefois de mauvaises suites, lorsque les<br />

mères se laissent surprendre par quelque passion violente. Cependant il me semble que, sans cette<br />

communication, les femmes et les animaux ne pourraient pas facilement engendrer des petits de même espèce.<br />

Car, encore que l’on puisse donner quelque raison de la formation du fœtus en général, comme M. Descartes l’a<br />

tenté assez heureusement, cependant il est très difficile sans cette communication du cerveau de la mère avec<br />

celui de l’enfant, d’expliquer comment une cavale n’engendre point un bœuf, et une poule un œuf qui contienne<br />

une petite perdrix, ou quelque oiseau d’une nouvelle espèce ; et je crois que ceux qui ont médité sur la formation<br />

du fœtus seront de ce sentiment », ibid., pp. 285-286. On se rend ainsi compte que Malebranche a une théorie<br />

« forte » des monstres grâce au rôle qu’il fait jouer à l’imagination, car il les inclut dans une théorie générale de<br />

la génération, à laquelle ils ne font pas exception. C’est pourquoi l’histoire qu’il rapporte participe bien de la<br />

rationalité à laquelle il veut soumettre les phénomènes de la transmission des caractères spécifiques.<br />

1 IR, II, Histoire des animaux, chap. XI : Du développement et de l’accroissement du fœtus, de l’accouchement,<br />

etc., p. 399.<br />

2 IR, II, ibid., p. 400.<br />

3 « Comme nos sensations ne ressemblent point aux objets qui les causent, il est impossible que le désir, la<br />

frayeur, l’horreur, qu’aucune passion en un mot, aucune émotion intérieure, puissent produire des représentations<br />

réelles de ces mêmes objets », IR, II, ibid., p. 401.

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