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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

– mais mêlées, pour un regard contemporain familiarisé à l’exactitude de l’illustration<br />

scientifique ou à l’abstraction explicative d’un schéma scientifique, à la fantaisie, voire à la<br />

fantasmagorie des monstres représentés – la plupart ne pouvant pas avoir vu le jour sous la<br />

forme avec laquelle ils ont été représentés. L’imaginaire travaille à même la forme qui se veut<br />

objective, si bien que ces illustrations ont le même statut ambigu que la photographie des<br />

frères Tocci, mais pour une raison strictement inverse. Tandis que pour cette dernière c’est la<br />

mise en scène qui vient parasiter l’objectivité de la photographie en tant que média, pour les<br />

premières c’est le contenu dessiné, et non la forme dans laquelle il est présenté, qui empêche<br />

l’advenue de l’objectivité.<br />

L’ambiguïté du dessin « scientifique » réside finalement dans ce résidu d’imaginaire<br />

qui s’immisce dans le cœur des lignes et des traits afin de dé-figurer ce qui tentait, à travers et<br />

par le dessin, de prendre figure. Ne faudrait-il pas, dès lors, tirer la leçon suivante : la<br />

« vérité » du monstre passerait, à l’inverse, par la représentation artistique qui prend acte de<br />

cette présence inhérente de l’imaginaire et surtout qui l’assume ? Mais alors, l’artiste doit<br />

résolument abandonner la figuration du monstre pour être à l’écoute de ce qu’il suscite dans<br />

sa conscience.<br />

Si le monstre en art est autre chose que le spectacle d’un monstre biologique, faut-il<br />

pourtant aller jusqu’à dire que ce dernier est un simple prétexte ? Sans doute pas ; les raisons<br />

de l’artiste motivant le choix de représenter une forme monstrueuse ne sont jamais vaines et<br />

arbitraires, parce que le monstre ne laisse jamais indifférent. Mais, parmi ces raisons, il ne<br />

faut pas sous-estimer celle qui voit dans le monstre un défi à relever pour la création<br />

artistique. Ce qui est ainsi montré dans l’œuvre, ce n’est pas la puissance de la nature, mais la<br />

puissance de l’artiste capable de passer et de surmonter l’épreuve de cette négativité qu’est<br />

une monstruosité, capable surtout de la peindre, la sculpter, l’écrire, c’est-à-dire d’en faire un<br />

moment de l’œuvre elle-même, ou une partie, et non une simple mais décisive étape de la<br />

création appelée à être recouverte par l’œuvre et dont il ne resterait plus trace. La fascination<br />

que peuvent exercer les brouillons, les manuscrits raturés, tachés, illisibles, les esquisses, les<br />

études, les reprises ne peut-elle pas être au fond du même ordre que celle qu’exercent les<br />

monstres – une forme qui n’est déjà plus informe, mais pas encore achevée et arrivée à sa<br />

perfection, une forme alors difforme ? Ne seraient-ils pas les monstres des œuvres finies ?<br />

Dès lors, du point de vue de la logique de composition de l’œuvre, il n’est pas anodin de faire<br />

figurer une forme monstrueuse : c’est faire advenir dans la visibilité du fini de l’œuvre ce<br />

moment où elle prend forme, c’est introduire en son cœur, c’est-à-dire en son achèvement,<br />

quelque chose de l’instabilité de ses commencements et de ses inachèvements. Certes, la<br />

forme monstrueuse, en tant qu’elle appartient à l’œuvre achevée, n’a pas le pouvoir de la<br />

défaire et de la destituer en tant qu’œuvre ; mieux, elle participe comme forme monstrueuse à<br />

sa perfection de sorte qu’elle est elle-même parfaite. Cependant, elle n’en reste pas moins une

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