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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

Symèle, un Cyclocéphale ou un Sternophage, mais d’être, répétons-le encore une fois,<br />

l’expérience d’un effroi mêlé de fascination de la part d’un vivant. Canguilhem insiste sur<br />

l’idée que le sens de cette expérience ne peut être délivré qu’en se situant au niveau radical du<br />

vivre d’une conscience – il interdit donc à Foucault d’en rester au niveau des rapports sociaux<br />

de pouvoir. En un mot, la connaissance scientifique, médicale, juridique, morale, politique du<br />

monstre n’est possible que sur fond de l’oubli d’une reconnaissance première et spontané d’un<br />

vivant – ici l’homme – vis-à-vis d’un autre vivant. Tandis que la connaissance tératologique<br />

sous toutes ces formes est une construction – fantastique et imaginaire, souvent, à la<br />

Renaissance, taxinomique, médicale, juridique, politique au XVIII ème et XIX ème siècles – la<br />

reconnaissance d’un raté morphologique comme monstre est l’expérience sensible d’une<br />

rencontre singulière. Rencontre singulière en cela d’abord que cette expérience de la<br />

reconnaissance est celle d’une reconnaissance impossible.<br />

En effet, s’il y a rencontre véritable, c’est par l’adéquation d’un contact entre deux<br />

vivants, qui ne sont deux altérités que sur fond d’un partage, au mieux de formes plus ou<br />

moins semblables dans le cas d’individus de la même espèce, au pire du fait même de vivre.<br />

Mais la rencontre qui institue l’autre vivant comme monstre est singulière en cela même que<br />

la forme que je suis amené à lui reconnaître est à la fois semblable et dissemblable à la<br />

mienne, de sorte que la reconnaissance de l’autre comme monstre est la reconnaissance d’une<br />

impossible reconnaissance. Je reconnais le monstre à ceci que je ne peux le reconnaître ni<br />

complètement comme mon semblable ni complètement comme mon dissemblable. Il est autre,<br />

comme tout ce qui est autre que moi, mais il est autre différemment de tous les autres. Les<br />

autres peuvent induire et amorcer en moi une remise en cause ; ils peuvent me faire prendre<br />

conscience que le fait que mon histoire m’est propre conduit à une relativité de mes<br />

jugements, de mes points de vue, de mon caractère ; ils peuvent aussi valoir à mes yeux<br />

comme des ennemis capables d’interrompre mon existence. Mais, dans tous les cas, ils sont<br />

autres en référence à un soi considéré, en tant que soi, comme un centre nécessaire. Ma<br />

comparaison avec les autres ne remet pas en question la nécessité à mes yeux d’être ce que je<br />

suis. Mieux : pour qu’il y ait des autres, il est exigé que je me présente comme un centre<br />

absolu.<br />

Si le monstre est autre que les autres, c’est d’abord parce qu’il est l’expérience d’un<br />

effroi, qui est « crainte radicale » dit Canguilhem 1 . On ne peut penser le monstre si l’on ne<br />

part pas du sens de cette crainte radicale. Faire l’expérience du monstre, c’est faire<br />

l’expérience de ma non nécessité : non pas que je ne sais pas que j’aurais pu être autre que je<br />

ne suis, mais dans cette expérience de pensée j’admets toujours implicitement comme allant<br />

de soi, comme étant nécessaire, que cet autre possible est de toute manière une autre réussite.<br />

C’est pourquoi j’accorde, aussi bien à mes ennemis qu’aux autres formes vivantes réussies,<br />

une valeur positive. Et la réussite se mesure d’abord au fait que j’ai même forme<br />

1 Ibid., p. 171.

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