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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

Le mot monstre, d’après son étymologie (…), ne peut donc être appliqué qu’à des êtres assez<br />

remarquables pour attirer les regards, pour frapper vivement les esprits des spectateurs.<br />

Le sens du mot monstre, dans le langage usuel, est parfaitement conforme à ses données<br />

étymologiques, et ne diffère nullement de celui que je lui assigne dans la langue scientifique.<br />

Un monstre est, pour le vulgaire, un être dont l’aspect étonne et, presque toujours même,<br />

offense les regards ; qui non seulement présente de graves anomalies, mais même des<br />

anomalies d’un ordre fâcheux. 1<br />

L’anormal ferait ainsi rentrer dans la science tout le poids de la subjectivité drainant<br />

avec elle ses préjugés et ses propres normes. Il ne s’agirait donc plus d’expliquer ce que le<br />

monstre est, mais d’interpréter ce pour quoi il est. L’anormal nous rend aveugle à ce qu’est<br />

l’anomalie.<br />

Si elles [les anomalies] étonnent, c’est parce qu’on apporte à leur examen des préjugés et des<br />

idées toutes faites : c’est parce qu’on veut leur appliquer des principes, résultats<br />

d’observations trop circonscrites. En un mot, il y a exception aux lois des naturalistes, et non<br />

aux lois de la nature. 2<br />

Les anomalies, et les monstres en particulier qui ont la plus grande charge de<br />

pathétique, sont ce qu’ils sont : ni signes d’une calamité, ni témoins d’une malédiction, ils<br />

sont le résultat de processus naturels et normaux allant jusqu’à leur terme. Ils n’annulent pas<br />

l’ordre, ils présentent un ordre autre. C’est pourquoi ils sont anomaux. Mais justement, étant<br />

« ce qu’[ils] doivent être dans ce grand ensemble où règnent partout, suivant une expression<br />

célèbre, la variété dans l’unité et l’unité dans la variété » 3 , ils ne laissent aucune légitimité ni<br />

aucune prise à un classement qui doit faire intervenir des critères de valeur. Les anomalies,<br />

parce qu’elles sont anomales et non anormales, peuvent donner lieu à une classification.<br />

Mais si la tératologie rend légitime une classification des anomalies, cela veut-il dire<br />

pour autant qu’elle est possible ? La critique qui consiste à nier la possibilité d’une<br />

classification tératologique sur le constat de l’irrégularité des monstruosités est balayée par<br />

Geoffroy Saint-Hilaire dès l’instant où il remet en cause le fait qu’ils sont des êtres irréguliers.<br />

L’irrégularité n’est pas de l’ordre d’un fait ou d’un constat, mais bien d’un préjugé ou d’une<br />

prévention contre les monstres. Ce n’est précisément pas les voir que les réduire à de<br />

l’irrégulier. S’il est aisé de rejeter l’idée que le monstre serait le résultat d’un désordre et donc<br />

irréductible à tout effort de classification, il n’en est pas de même d’un autre point que cette<br />

critique met en jeu. Car mettre en avant l’irrégularité peut se comprendre, non pas comme un<br />

primat du désordre, mais comme celui du singulier. Si le monstre est inclassable, c’est avant<br />

mais de nomos qui signifie loi, selon la composition a-nomos. Cette erreur d’étymologie se trouve, précisément,<br />

dans le Dictionnaire de Médecine, de Littré et robin. Or, le nomos grec et le norma latin ont des sens voisins, loi<br />

et règle tendent à se confondre. Ainsi, en toute rigueur sémantique anomalie désigne un fait, c’est un terme<br />

descriptif, alors que anormal implique référence à une valeur, c’est un terme appréciatif, normatif ; mais<br />

l’échange de bons procédés grammaticaux a entraîné une collusion des sens respectifs d’anomalie et d’anormal.<br />

Anormal est devenu un concept descriptif et anomalie est devenu un concept normatif. I. Geoffroy Saint-Hilaire<br />

qui tombe dans l’erreur étymologique que reprennent après lui Littré et Robin s’efforce de maintenir au terme<br />

anomalie son sens purement descriptif et théorique », Le normal et le pathologique, Paris, quadrige / PUF, 1999,<br />

p. 81.<br />

1 Traité de tératologie, I, p. 42.<br />

2 Ibid., I, p. 37.<br />

3 Ibid., I, p. 37.

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