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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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monstrueuses les formes vivantes qui ne marchent pas ? La présence du monstre permet, au<br />

contraire, d’envisager de sortir de la question de l’adaptation. Celle-ci n’est qu’un trait<br />

secondaire de la vie, qui apparaît après que la vie a imprimé un mouvement de déphasage, de<br />

décentrage. On pourrait ainsi déceler deux tendances : une tendance centripète, qui serait le<br />

propre des vivants eux-mêmes, installés dans un milieu, veillant à toujours faire centre ; et une<br />

tendance centrifuge vers la multiplicité, vers la dérive, qui conduit les vivants à sortir d’euxmêmes,<br />

à se déborder de part en part, à se déporter, quitte à donner d’eux-mêmes une forme<br />

étrangère, désarçonnante, repoussoir dans la figure du monstre. L’importance méthodologique<br />

du monstre est mise en pleine lumière : il est ce vivant permettant de suspendre, de mettre<br />

entre parenthèses la question de l’adaptation. Qu’est-ce que la vie dès lors qu’on fait l’époché<br />

de l’adaptation ? Le monstre est ce vivant qui offre l’insigne avantage de mettre au jour la vie<br />

lorsqu’elle n’est pour ainsi dire plus recouverte par l’exigence adaptative – exigence qui<br />

conduit le vivant à engendrer son semblable. Autrement dit, il n’est toujours pas question de<br />

partir de la vie, comme si elle se tenait quelque part en dehors des vivants. La vie que nous<br />

voulons décrire et saisir est bien la vie des vivants ; pourtant il n’est pas non plus question de<br />

partir de la vie déployée par les conditions d’existence des vivants, qui la ramènent à être une<br />

vie menacée, une vie réactive, une vie qui cherche à se conserver. Pourtant, quoi de plus<br />

menacée, de plus fragile, de plus précaire qu’une vie de monstre ? Bref, quoi de plus négatif ?<br />

Toutefois, le monstre est ce vivant qui laisse entrevoir que la vie, dans les vivants, est mue par<br />

autre chose que la conservation ; sa possibilité ouvre le droit à une recherche eidétique sur la<br />

vie en tant que telle.<br />

Le monstre se signale par sa valeur négative, car il possède une vie fragile, faible,<br />

impuissante, selon le critère de l’adaptation ; mais il est tout autant la vie qui s’affirme à un<br />

plan où toute finalité adaptative est niée, où la fragilité, la faiblesse, l’impuissance n’ont plus<br />

aucun sens, puisque la vie n’est rien d’autre que la pure affirmation d’elle-même, à savoir la<br />

pure affirmation de son errance vitale. On se tient ici à un plan, ou dans un champ, où la<br />

valeur et le sens n’ont pas encore droit de cité, puisque la vie est pure indifférence à ellemême.<br />

Les écarts se produisent au sein de la vie immanente à elle-même – comment même<br />

parler d’écart dans ces conditions ? Dans l’immanence de la vie, l’écart n’est plus écart par<br />

rapport à quelque chose d’extérieur à la vie, il est écart de la vie avec elle-même, il est donc<br />

écart en lui-même, ou encore, osons le mot : en soi, c’est-à-dire : écart-en-tant-que-tel. Pure<br />

indifférence en elle-même et à elle-même, cela signifie que la vie s’affirme sans jamais se<br />

viser comme valeur ; cela veut donc dire qu’elle laisse advenir à elle-même toutes les<br />

différences comme différences. Mais dans la nuit, toutes les vaches sont-elles noires ? La<br />

difficulté est alors d’articuler la vie comme indifférence avec le plan des vivants qui<br />

produisent de la valeur, de la norme, ou plutôt qui appréhendent les différences que produit la<br />

vie en termes de valeur et de sens. Si rien n’est bon ni mauvais pour la vie, il y a du bon et du<br />

mauvais pour les vivants – et, en l’occurrence, la forme monstrueuse représente du mauvais.<br />

Le sens et la valeur ne surgissent que dès l’instant où la vie se confronte à son extérieur, c’esttel-00846655,<br />

version 1 - 19 Jul 2013

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