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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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actualisation. L’erreur serait donc d’interpréter cette béance comme ce qui déchire la vie des<br />

vivants pour faire advenir le fond ou la profondeur de la vie. Les monstres seraient, pour le<br />

regard qui saurait les voir, la porte menant droit à la profondeur de la vie. Si le vitalisme a pu<br />

donner lieu, ou laisser donner lieu, à toute une idéologie fascisante, c’est parce qu’il était, sans<br />

doute, par trop fasciné par le schème de la profondeur, qu’il tient pour le seul lieu de<br />

l’authenticité. Tout à l’opposé, nous pensons que la béance n’ouvre pas à une profondeur,<br />

mais parcourt la limite de la vie. Dans ces conditions, qu’est-ce que l’anomal ? « C’est un<br />

phénomène, mais un phénomène de bordure. » 1<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

b) La bordure<br />

Le monstre est un vivant de la limite, car il est un vivant à la bordure. Il importe ici de<br />

distinguer avec soin la bordure de la frontière. Cette dernière trace une ligne de séparation<br />

(certes franchissable) qui a pour fonction d’assigner une identité aux éléments ainsi séparés.<br />

Or, dans les phénomènes de monstruosité, la vie ne travaille pas à déterminer une frontière<br />

vis-à-vis de laquelle elle assoirait sa propre identité. Autrement dit, les monstres ne livrent pas<br />

la vie au travail de la définition – si on entend par définition la tentative de fixer une identité<br />

unitaire. En l’actualisant, les vivants ne cessent de la modifier, de modifier sa puissance, son<br />

être, son sens, de sorte que l’être de la vie se dise toujours de la différence. Toutefois, les<br />

monstres se tiennent sur la bordure. Quel sens conférer à la bordure dès lors que la vie, en son<br />

errance, ne semble connaître, évidemment pas de frontières, mais sans doute même pas de<br />

bords ?<br />

Reprenons : les monstres, en suscitant la suspension de la logique de l’adaptation,<br />

apparaissent comme des vivants décentrés. Ils sont décentrés d’une part par leur difficulté à<br />

délimiter un milieu ; ils le sont d’autre part par rapport aux vivants normaux qui se posent<br />

comme centre d’un milieu dans lequel les monstres apparaissent comme tels. Les vivants font<br />

centre, sont au centre par l’expérience du souci et du désir de vie leur permettant d’arracher la<br />

vie à sa propre indifférence et indétermination. Or cette expérience et ce désir ne sont jamais<br />

plus intenses que dans la confrontation avec les phénomènes de la vie qui semblent les nier :<br />

maladies, faiblesses, dangers, monstruosités, c’est-à-dire avec ces phénomènes qui viennent<br />

contester la capacité du vivant à faire centre, bref avec ces phénomènes qui viennent, pour le<br />

vivant qui est au centre, des bords, des bordures, des limites. S’ils s’y confrontent, c’est que<br />

leur mouvement d’actualisation de la vie les conduit immanquablement à être tout autant<br />

débordés par la vie en son errance, c’est-à-dire en sa multiplicité virtuelle. Ce débordement,<br />

auquel participent les monstres et qui les installe à la bordure, dans la bordure, est crucial. Car<br />

autant, comme on l’a vu avec Canguilhem, les vivants perçoivent d’autres vivants et leur<br />

confèrent une valeur négative repoussoir, autant et réciproquement les monstres permettent<br />

aux vivants de se compter parmi une seule et même communauté biologique. En effet, leur<br />

1 Deleuze, Mille plateaux, op. cit., p. 299.

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