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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

psychiatrie, par le jeu des instincts, abonde dans le sens populaire en faisant de la folie du<br />

monstrueux, qu’est-ce qui relève au juste du monstrueux dans les instincts ?<br />

La réponse fournie par la psychiatrie est d’une simplicité biblique : la folie des<br />

instincts tient à leur anormalité, de sorte qu’elle va se comprendre comme la science des<br />

anormaux. « C’est à partir de la notion d’instinct que va pouvoir s’organiser, autour de ce qui<br />

était autrefois le problème de la folie, toute la problématique de l’anormal, de l’anormal au<br />

niveau des conduites les plus élémentaires et les plus quotidiennes. » 1 La notion d’instinct<br />

permet ainsi à la psychiatrie de manipuler la norme et de constituer tout un champ<br />

« pathologico-normatif » 2 . Mais qu’est-ce au juste que ce normal que la psychiatrie<br />

manipule ? Il est clair que son objectif est de s’ancrer comme une pratique et science<br />

médicales, si bien que l’idée de norme dont elle use est celle du bon fonctionnement<br />

organique, régulier et ajusté – à quoi « s’opposera le pathologique, le morbide, le désorganisé,<br />

le dysfonctionnement » 3 . Dès lors que la psychiatrie se réfère à un ordre organique, il lui est<br />

nécessaire de trouver pour les instincts un substrat organique sur lequel, en tant que pratique<br />

médicale, elle va chercher à s’exercer. Or ce substrat lui est donné par une autre science : la<br />

neurologie. Celle-ci va servir d’intermédiaire entre la psychiatrie et la médecine et permettre à<br />

la première de puiser et de se fonder dans les contenus de la seconde.<br />

Toutefois, l’anormal biologique ne serait pas monstrueux s’il n’était que de l’ordre<br />

d’un dysfonctionnement fonctionnel de l’organisme de l’individu. S’il y a anormalité, nous dit<br />

Foucault, ce n’est pas seulement parce qu’elle viendrait rompre une norme biologique, c’est<br />

aussi parce qu’elle contrevient à des règles de conduite. En bousculant l’ordre biologique,<br />

l’anormal « monstrueux » bouscule le droit des hommes, qui définit limites et interdits. « Il<br />

n’y a de monstruosité que là où le désordre de la loi naturelle vient toucher, bousculer,<br />

inquiéter le droit, que ce soit le droit civil, le droit canonique, le droit religieux .» 4 L’idée de<br />

norme « comme règle de conduite, comme loi informelle, comme principe de conformité (…)<br />

à laquelle s’opposent l’irrégularité, le désordre, la bizarrerie, l’excentricité, la dénivellation,<br />

l’écart » 5 , n’est pas une idée à proprement parler médicale, mais relève plutôt d’une<br />

organisation sociale travaillée par un pouvoir politique, qui a fait des choix de valeurs en<br />

autorisant certaines conduites et en frappant d’autres d’interdit. Dès lors, la norme que manie<br />

la psychiatrie est aussi déterminée par le fonctionnement d’une société à travers ses<br />

institutions politiques, juridiques, pénales, religieuses. Ce que remarque toutefois Foucault,<br />

c’est un effet de circulation entre la psychiatrie et ces institutions, chacune cherchant ses<br />

appuis chez l’autre quant à l’usage que chacune fait de l’idée de norme 6 . La norme est ainsi<br />

une sorte de pièce d’engrenage qui permet à la psychiatrie et aux institutions politiques et<br />

1 Foucault, ibid., p. 122.<br />

2 Ibid., p. 151.<br />

3 Ibid., p. 150.<br />

4 Ibid., p. 59.<br />

5 Ibid., p. 150.<br />

6 Cf. ibid., pp. 122-124 et p. 128.

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