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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

autres, mais seulement à les positionner les uns par rapport aux autres, autrement dit à les<br />

distribuer selon qu’ils partagent des caractéristiques communes ou non. Il ne s’agit plus de se<br />

demander pourquoi ils existent, pourquoi ils sont tels qu’ils sont, mais comment ils sont tels<br />

qu’ils sont. Ordonner le vivant en le distribuant à travers différentes catégories que sont les<br />

espèces, les genres, les familles, les classes, bref les taxons, c’est non pas classer le vivant,<br />

mais le classifier 1 .<br />

Les anomalies font-elles donc l’objet d’un classement ou d’une classification ? 2 La<br />

distinction que Geoffroy Saint-Hilaire prend la peine d’introduire entre « anormal » et<br />

« anomal » nous semble pouvoir trancher la question. En effet, il prend soin de noter qu’un<br />

contresens doit absolument être évité : l’anomalie n’est pas l’anormal. L’anormal renvoie à<br />

deux ordres d’idée qui ne sont pas compatibles d’ailleurs l’une avec l’autre. Tout d’abord, il<br />

serait ce qui est privé de toute norme et de toute loi, ce qui reviendrait à en faire le résultat du<br />

pur désordre. Or « il n’existe pas de formations organiques qui ne soient soumises à des lois ;<br />

et le mot “désordre”, pris dans son acception véritable, ne saurait être appliqué à aucune des<br />

productions de la nature » 3 . Le désordre, pris dans son acception véritable, reconduit au<br />

hasard : là où sombre dans le non-sens toute détermination, là d’où est absent tout sens 4 . Mais<br />

le monde de la vie est le monde du sens en cela que les êtres vivants sont plus ou moins<br />

adaptés à leur milieu (et dire d’un être vivant qu’il n’est pas adapté n’est pas lui dénier tout<br />

sens, mais souligner que le sens qu’il est n’est pas le bon sens), et il est le monde de la<br />

détermination en cela que rien n’arrive sans cause. Les anomalies ont des causes, sont<br />

déterminées par des lois et ne manquent pas de sens pour le vivant. Dès lors l’idée d’anormal<br />

renverrait moins à l’absence de toute norme et de toute loi, qu’elle ferait droit à un jugement<br />

de valeur. Et ce jugement de valeur reposerait avant tout sur ce que l’anormal a d’insolite, de<br />

frappant, de heurtant, ou de choquant pour le regard qui se porte sur lui 5 .<br />

1 Il ne faut cependant pas trop figer cette distinction, tant il est vrai que le postulat de la série animale, de l’ordre<br />

de la nature peut venir brouiller, dans la pratique, cette distinction. Ainsi Daudin fait-il remarquer que « telle<br />

qu’elle se présente, alors, à l’esprit des naturalistes tant soit peu “philosophes”, cette idée de la série est ellemême<br />

le produit d’un amalgame entre la formule théorique d’une hiérarchie fonctionnelle des êtres naturels, –<br />

formule qui dérive, en premier lieu, de la tradition aristotélicienne – et la masse des observations recueillies par<br />

des observateurs modernes sur les affinités des genres et des espèces. Amalgame très instable, du reste, et déjà<br />

bien des fois remanié, en raison même de ce qu’il y a de disparate entre le schème primitif et les données de faits<br />

qu’on lui a, tant bien que mal, incorporées », Les méthodes de la classification et l’idée de série en botanique et<br />

en zoologie de Linné à Lamarck (1740-1790), Paris, Librairie Félix Alcan, 1926, p. 230.<br />

2 Nous laissons pour le moment de côté la question de savoir si toutes les anomalies peuvent faire l’objet d’un<br />

classement ou d’une classification.<br />

3 Traité de tératologie, I, p. 36.<br />

4 L’idée de hasard sera réhabilitée par la théorie de l’évolution : pour une mise au point de l’usage de l’idée de<br />

hasard dans la théorie de l’évolution, cf. Jean Gayon, « Hasard et évolution », dans L’évolution, sous la direction<br />

de Hervé Le Guyader, Paris, Belin « Pour la science », 1998.<br />

5 Le rapprochement entre les termes d’anomalie et d’anormal repose sur une confusion étymologique, que<br />

Canguilhem, à la suite du Vocabulaire philosophique de Lalande, met en lumière : « Anomalie est un substantif<br />

auquel actuellement aucun adjectif ne correspond, inversement anormal est un adjectif sans substantif, en sorte<br />

que l’usage les a couplés, faisant d’anormal l’adjectif d’anomalie. (…) Anomalie vient du grec anomalia qui<br />

signifie inégalité, aspérité ; omalos désigne en grec ce qui est uni, égal, lisse, en sorte que anomalie, c’est<br />

étymologiquement an-omalos, ce qui est inégal, rugueux, irrégulier, au sens qu’on donne à ce mot en parlant<br />

d’un terrain. Or, on s’est souvent mépris sur l’étymologie du terme anomalie en le dérivant, non pas de omalos,

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