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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

Le problème est le suivant : ne perdons-nous pas le monstre ? Geoffroy Saint-Hilaire<br />

dit cependant : « dans une autre série de faits ». Comment discriminer qu’un fait appartienne<br />

à la série normale ou à la série anomale si de toute façon c’est le même ordre qui se retrouve ?<br />

Mais, dira-t-on, c’est ramener aux considérations communes de l’organisation ; et ne seraitce<br />

pas s’exposer à une contradiction manifeste, que de faire dépendre des mêmes causes tous<br />

les développements organiques, et ceux qui donnent des animaux réguliers, et ceux qui<br />

dégénèrent en monstruosités ? 1<br />

Ce paradoxe n’a cessé de courir tout au long de cette étude, et nous y avons répondu<br />

par le concept d’accident qui provoque un arrêt de formation ou de développement. Mais ce<br />

concept n’intervient que lorsque l’écart est constaté. Or ce constat ne passe-t-il pas par<br />

l’expérience commune du monstrueux ? Si Geoffroy Saint-Hilaire veut établir que le monstre<br />

suit l’ordre même de la nature, s’il veut précisément distinguer le monstrueux de la<br />

monstruosité et ne reconnaître que la seconde comme digne d’intérêt scientifique, il y a<br />

comme un impensé qui est au départ : il doit partir du monstrueux, c’est-à-dire partir du fait<br />

que nous reconnaissons spontanément un monstre de ce qui n’en est pas un quand bien même<br />

nous ne sommes pas tératologues.<br />

Ainsi l’idée de monstruosité participerait de l’oubli que le tératologue n’en est pas<br />

moins un homme vivant. Or Geoffroy Saint-Hilaire fait la supposition qu’il est « pure raison,<br />

pure machine intellectuelle à constater, à calculer et à rendre des comptes, donc inertes et<br />

indifférents à nos occasions de penser : le monstre ce serait seulement l’autre que le même, un<br />

ordre autre que l’ordre probable » 2 . Mais avons-nous bien réussi à penser le monstre si nous<br />

restons précisément inertes et indifférents à nos occasions de le penser, si nous ne<br />

réfléchissons pas au fait que certains êtres vivants nous apparaissent monstrueux ? Car c’est<br />

bien parce qu’ils sont apparus tels d’abord aux yeux non savants du savant que ce dernier a<br />

pu, ensuite, comme savant, les reconduire à des monstruosités, à savoir à un ordre autre.<br />

« Ainsi, de l’aveu même du savant, l’anomalie n’est connue de la science que si elle a d’abord<br />

été sentie dans la conscience, sous forme d’obstacle à l’exercice des fonctions, sous forme de<br />

gêne ou de nocivité. » 3<br />

Il importe d’être sensible à l’apparition du monstre, tout en ne<br />

sombrant pas dans le merveilleux, le miraculeux, l’irrationnel. Tout le problème est alors de<br />

savoir s’il est possible à la pensée d’éclairer par le concept ce moment sensible du<br />

monstrueux, bref s’il lui est possible de rendre raison de son point de départ à partir duquel<br />

elle construit l’idée de monstruosité. Ne lui est-il pas nécessaire de revenir sur l’idée de<br />

norme, que les Geoffroy Saint-Hilaire avaient d’abord cherché à neutraliser, considérant<br />

qu’elle ne pouvait en aucun cas permettre de construire une réflexion objective sur le<br />

monstre ? Nous allons bientôt voir, dans le chapitre suivant, que ce moment normatif est<br />

d’autant plus nécessaire qu’I. Geoffroy Saint-Hilaire, malgré ses intentions et ses dires, ne<br />

réussit pas à l’évacuer complètement de la tératologie : elle revient en sous-main travailler son<br />

1 E. Geoffroy Saint-Hilaire, Philosophie anatomique. Des monstruosités, op. cit., p. 105.<br />

2 Georges Canguilhem, La connaissance de la vie, op. cit., p. 171.<br />

3 Georges Canguilhem, Le normal et le pathologique, op. cit., p. 84.

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