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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

ait besoin d’un ARN pour se répliquer ouvre la possibilité de l’erreur ; mais que l’erreur<br />

surgisse sur tel allèle, plutôt que sur tel autre, est de l’ordre de la contingence pure. La faute<br />

de logique n’est ici faute de personne. La mutation est alors un pur événement qui n’appelle<br />

nulle illusion rétrospective. Du monstre, à l’inverse, nous pouvons envisager ce qu’il en aurait<br />

été si l’accident n’avait pas eu lieu. Si, dans l’un comme dans l’autre cas, ils auraient pu ne<br />

pas être, le mutant est ce qu’il devait être d’après le message génétique qui est le sien, tandis<br />

que le monstre n’est pas ce qu’il aurait pu être si l’accident n’avait pas provoqué la déviation<br />

de son devenir embryogénique. L’embryogenèse du mutant a réalisé tout ce qu’elle devait ;<br />

l’embryogenèse du monstre a réalisé tout ce qu’elle pouvait. Dans le premier cas, tout ce qui<br />

pouvait génétiquement être a été déployé ; dans le second cas tout ce qui devait être n’a pas<br />

pu l’être, mais tout ce qui est est tout ce qui a pu être – Geoffroy Saint-Hilaire a affirmé avec<br />

force ce point en disant qu’il n’y avait pas d’exception aux lois de la nature. Le mutant est<br />

ainsi un être inattendu, mais non un raté ; le monstre est un attendu, qu’une circonstance a fait<br />

rater. Toutefois, du point de vue du tératologue, dans les conditions qui sont les siennes, il est<br />

un organisme parfaitement ordonné. Mais un mutant qui échoue à accomplir les activités<br />

qu’un vivant accomplit avec toute la souplesse et l’agilité propre à une vie saine est, aux yeux<br />

de ce vivant, tout autant un raté et, à ce titre, n’en est pas moins aussi monstre que celui qui<br />

possède une anomalie monstrueuse.<br />

Si nous ne pouvons pas nous imaginer à la place du monstre que nous percevons, la<br />

raison est peut-être à chercher dans cette causalité de l’accident manifestée par lui. Si l’effroi<br />

témoigne bien de la prise de conscience du surgissement d’une causalité « catastrophique » et<br />

ainsi de l’intrinsèque fragilité de la forme qui manifeste la vie, l’accident conduit à considérer<br />

le monstre comme une possibilité de la vie forcée. D’elle-même, il semblerait que la vie<br />

n’aille pas du côté des monstruosités, et l’accident provoquant de telles anomalies est au sens<br />

plein du terme un accident bien malheureux. Certes, on pourrait rétorquer que les<br />

circonstances qui entraînent les cas de monstruosités, comme les chutes, les coups et chocs,<br />

les contaminations, etc. sont parties intégrantes du milieu dans lequel les vivants déploient<br />

leur vie ; il appartient à la vie de se confronter à l’adversité, de s’essayer, de se mettre parfois<br />

en danger ; elle n’est nullement forcée de se confronter aux accidents possibles : on pourrait<br />

dire, dans un vocabulaire finaliste, qu’elle cherche plutôt les accidents. Néanmoins, il ne faut<br />

pas négliger le sens de l’impression qu’a celui qui fait l’expérience d’une monstruosité en<br />

dehors de lui : elle lui apparaît toujours comme « hétérocosmique » 1 , comme n’étant pas de ce<br />

monde. Si, dans l’abstraction, le monstre est une possibilité de la vie, il n’est rien de tel du<br />

point de vue du vivant placé dans l’horizon de sa normalité ayant échappé à l’accident<br />

tératologique. Or, telle n’est pas la situation de la maladie. L’homme sain « sait » qu’il peut<br />

tomber malade – la maladie est un événement qui appartient au déroulement de l’existence, si<br />

1 Sur la notion d’hétérocosmique, cf. Baumgarten, Méditations philosophiques sur l’essence du poème, Paris,<br />

L’Herne, 1988, § LII, p. 50.

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