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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

imputer dans cette malfaçon. La maladie génétique, comme la monstruosité, sont deux<br />

mauvaises manières d’être, car elles sont d’abord deux mauvaises façons de faire. Aussi peuton<br />

dire de la monstruosité ce que Canguilhem dit de la maladie génétique : « Etre malade,<br />

c’est être mauvais, non pas comme un mauvais garçon, mais comme un mauvais terrain » 1 .<br />

Mais, pour qu’un terrain soit mauvais, encore faut-il qu’on ait cherché à y planter – le terrain<br />

n’est mauvais qu’en fonction de ce à quoi on a voulu le destiner. De même, un organisme<br />

n’est mauvais que par sa faiblesse, son manque d’être, ou son incapacité à surmonter les<br />

problèmes que d’autres surmontent sans peine ; il n’est mauvais que par son mal à vivre.<br />

L’erreur génétique n’enlève rien au sens de l’expérience de la maladie : elle a le sens d’une<br />

valeur négative. Or, parce que la monstruosité peut être, et est dans la très grande majorité des<br />

cas, une impuissance d’être (soit dans la vie biologique, soit pour l’homme, pour qui vivre est<br />

vivre en société, dans la vie sociale), elle est une valeur négative, et pour celui qui en fait<br />

l’expérience à travers une rencontre, et pour celui qui la porte et en est le sujet. Il semble donc<br />

que, pour le vivant qui sera la référence de la normalité, la maladie comme la monstruosité<br />

aient même valeur et même sens : le négatif. S’il y a une différence entre la maladie génétique<br />

et la monstruosité, elle n’est pas de sens, mais de causalité : la première renvoie à une<br />

spontanéité interne de l’organisme à l’erreur (spontanéité qui conduit l’organisme à inventer<br />

des mécanismes de contrôle et de vérification), tandis que la seconde, à travers l’idée<br />

d’accident, renvoie à l’articulation de l’organisme avec les circonstances extérieures. Mais<br />

dans les deux cas, il y a dévalorisation par rapport à ce que l’organisme aurait pu ou aurait dû<br />

être.<br />

Aurait pu ou aurait dû ? Que dire ? La possibilité d’être et le devoir être sont-ils ici<br />

équivalents ? De la possibilité d’être découle-t-il le devoir être ; et le devoir être n’est-il rien<br />

d’autre que ce que l’organisme peut être ? Du point de vue de l’expérience du vivant, sans<br />

doute la possibilité et le devoir être se confondent : le vivant ne peut être que ce qu’il doit<br />

être, et il n’est que ce qu’il pouvait être – autrement dit encore, le vivant existant sature le<br />

possible : il ne pouvait être autrement qu’il est dès lors qu’il est ce qu’il est. Mais il convient,<br />

du point de vue de l’analyse abstraite, de distinguer les deux plans. Car sinon, nous n’avons<br />

plus guère de moyens théoriques pour distinguer le monstre du mutant 2 . Du point de vue de<br />

l’embryogenèse, nous pouvons avancer que le monstre est le résultat d’un arrêt de formation<br />

ou de développement d’une ou de plusieurs parties suite à un accident, tandis que le mutant<br />

est le résultat d’une erreur génétique induisant une mutation du message génétique et<br />

conduisant alors à une nouvelle structure phénotypique. Le monstre comme le mutant n’y sont<br />

pas pour grand-chose : il n’y a là aucune responsabilité individuelle. Néanmoins, s’il est<br />

possible d’assigner à la monstruosité une cause efficiente, il n’en est pas de même pour le<br />

mutant : la mutation relève d’une spontanéité propre à l’organisme, ou plutôt le fait que l’ADN<br />

1 Ibid., p. 210.<br />

2 Sur les mutants, cf. Critique, op. cit. Pour une analyse qui diverge de la nôtre, cf. l’introduction au numéro de<br />

T. Hoquet : « Adieu les monstres, vivent les mutants », pp. 479-480.

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