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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

peut se demander si ce n’est pas pour eux que l’organisme existe plutôt qu’eux pour lui 1 . Mais<br />

il convient de remarquer que les cellules n’ont valeur d’individus qu’intégrées à la totalité<br />

d’un organisme, car celui-ci leur offre ce milieu intérieur dans lequel elles peuvent s’exprimer<br />

en terme d’individualité. C’est pourquoi le paradoxe est qu’elles ne sont individuées que<br />

parce qu’elles sont des parties et ont valeur de parties. « Bref, un élément organique ne peut<br />

être dit élément qu’à l’état non séparé. » 2 Cela, évidemment, n’est pas de l’ordre de la<br />

perception ; en revanche, elle en relève les effets. Si le tout individué est « une totalisation<br />

d’individus » 3 , la perception de l’individu est celle d’une forme relativement stable dessinant<br />

la frontière nette avec ce qui n’est pas elle. Cette stabilité n’a rien d’un donné ; elle est un<br />

processus : il n’y a stabilité que parce qu’il y a stabilisation continuée et restaurée par les<br />

activités vitales de régulation, réparation, adaptation, réorganisation opérées par ces centres<br />

individués que sont les parties de l’organisme. « La régulation, c’est le fait biologique par<br />

excellence » 4 – à savoir : le fait irréductible à toute approche physico-chimique, puisqu’il<br />

relève de la polarité inhérente à toute activité vitale, et le fait qui affirme le vivant comme<br />

vivant individué. Car le concept de régulation suppose que le vivant soit capable de faire la<br />

différence entre lui et ce qui n’est pas lui, bref de se saisir lui-même dans sa différenciation<br />

avec l’extérieur. Mais, réciproquement, ce mouvement de différenciation ne peut que<br />

s’appuyer sur l’activité générale de régulation, si bien que l’individualité de l’organisme n’est<br />

que l’effet d’une autodifférenciation 5 . La frontière entre l’intérieur et l’extérieur n’est en rien<br />

un acquis de l’organisme ; elle ne cesse d’être actualisée par l’activité de l’organisme à se<br />

distinguer, donc à être vivant. En un mot, il n’y a individualité que parce qu’il y a<br />

individuation, et même individuation permanente, comme le relève Simondon : « le vivant<br />

conserve en lui une activité d’individuation permanente ; il n’est pas seulement résultat<br />

d’individuation, comme le cristal ou la molécule, mais théâtre d’individuation » 6 .<br />

Cette permanence de l’individuation dans l’être vivant s’explique, selon Simondon,<br />

par la nécessité du vivant de résoudre des problèmes qui ne passent pas seulement par la<br />

modification du milieu extérieur, mais également par une modification de soi, par l’invention<br />

de « structures internes nouvelles » 7 . A ce titre et en toute rigueur, l’individu ne peut être un<br />

1 « Les organes, les systèmes d’un organisme hautement différencié n’existent pas pour eux-mêmes, ni les uns<br />

pour les autres en tant qu’organes ou systèmes, ils existent pour les cellules, pour les radicaux anatomiques<br />

innombrables, leur créant le milieu intérieur, de composition constante par compensation d’écarts, qui leur est<br />

nécessaire. (…) Fait de cellules, l’organisme est fait pour les cellules, pour des parties qui sont elles-mêmes des<br />

touts de moindre complication », ibid., p. 330.<br />

2 Ibid., p. 332. Cf. aussi M. Merleau-Ponty, La Nature. Notes. Cours du Collège de France, Paris, Seuil, 1994,<br />

notamment p. 268 : « l’organisme n’est pas une somme d’événements microscopiques instantanés et ponctuels ;<br />

il est phénomène-enveloppe, il a une allure d’ensemble, macroscopique. Entre les faits microscopiques se<br />

dessine la réalité globale en filigrane, jamais saisissable pour la pensée objectivante-corpusculaire, jamais<br />

éliminable ou réductible au microscope ».<br />

3 Ibid., p. 331.<br />

4 Canguilhem, art. « régulation » dans Encyclopedia universalis, Paris, 2002, vol. 19, p. 584.<br />

5 Sur l’idée d’autodifférenciation, cf. A. Pichot, Petite phénoménologie de la connaissance, Paris, Aubier, 1992,<br />

première partie, chap. I.<br />

6 L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information, op. cit., p. 27.<br />

7 Ibid., p. 28.

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