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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

Rappelons que si les êtres anomaux obéissent aux lois de la nature et respectent des<br />

limites, alors ils ne sont pas le résultat d’un jeu de la nature, ils ne sont pas des êtres<br />

irréguliers. Or c’est au nom de cette prétendue irrégularité que l’on a refusé d’envisager la<br />

possibilité d’une classification à leur égard aussi rigoureuse que tente de l’être celle des êtres<br />

normaux. La singularité de chaque monstre émane de la contingence de son apparition –<br />

contingence qui rend impossible toute répétition, toute similitude et ainsi toute communauté<br />

de caractères. Mais en soulignant qu’ils obéissent aux lois de la nature et sont soumis à des<br />

limites, on rend possible leur classification.<br />

Si la production des anomalies n’était soumise à aucune loi, et ne devait se renfermer<br />

dans aucune limite, il est évident qu’elles varieraient à l’infini, et qu’une classification<br />

quelque peu régulière des cas tératologiques serait de toute impossibilité. Loin de s’élever à la<br />

formation des classes et des ordres, on ne pourrait même arriver à l’établissement des genres :<br />

car, autant on observerait de cas, et presque autant on aurait à signaler de conditions<br />

nouvelles, la similitude de deux ou plusieurs êtres anomaux ne pouvant résulter dans cette<br />

hypothèse que de circonstances fortuites et nécessairement très rares. 1<br />

Ce qui rendrait ici impossible la classification est la dissémination des cas singuliers<br />

qui ne pourraient aucunement se rassembler, ou se subsumer si l’on veut, sous une catégorie<br />

taxinomique, n’ayant aucune propriété commune qui s’expliquerait par une nécessité<br />

structurelle. Or l’idée de limite a comme premier effet d’évacuer la possibilité de cette<br />

dissémination à l’infini : la nature ne pouvant pas tout, il est donc nécessaire qu’elle répète,<br />

sinon les individus eux-mêmes, du moins les structures sur lesquelles leur organisation est<br />

fondée. C’est cette répétition que la raison classificatoire veut repérer, autrement dit ce sont<br />

les ressemblances et non les différences qui d’abord l’intéressent. La limite, c’est ce qui, non<br />

seulement permet à la ressemblance de surgir au sein de la nature, mais, mieux, permet sa<br />

répétition. Le grand geste de la tératologie, c’est de dire que les anomalies se répètent, que<br />

l’apparition d’un cas monstrueux n’est pas nécessairement l’apparition d’une irréductible<br />

nouveauté, c’est mettre en évidence que l’existence des lois et des limites est la condition de<br />

possibilité de toute classification 2 . C’est dire aussi et surtout que jamais la nature ne joue.<br />

1 Ibid., III, p. 430.<br />

2 C’est en cherchant à déterminer les caractères de quatre espèces de podencéphales qu’E. Geoffroy Saint-Hilaire<br />

énonce la condition de possibilité de toute classification tératologique : « Ainsi les mêmes éléments, troublés<br />

dans de certaines limites quant à l’âge du fœtus, étant réunis à tous les autres éléments organiques abandonnés<br />

eux seuls à l’action du nisus formativus, donnent une répétition assez uniforme de caractères, ou les caractères du<br />

genre : chaque degré, en dedans de ces limites, donne à son tour des caractères plus restreints, bien moins<br />

généraux, ou les caractères de l’espèce ; quand le même degré ou le même âge, se reproduisant et amenant à tous<br />

égards une toute semblable répétition des mêmes formes, permet de saisir tout au plus ces nuances légères qui<br />

différencient tous les individus d’une même espèce », Philosophie anatomique. Des monstruosités humaines, op.<br />

cit., p. 449. Nous retrouvons la même idée dans l’art. « Monstre » du Dictionnaire classique d’histoire naturelle,<br />

op. cit., p. 117 : « ce retour des mêmes aberrations, en se faisant remarquer par la fixité de leurs caractères,<br />

semblant reproduire des formes aussi arrêtées que toutes celles de la zoologie normale, que les formes produites<br />

par la succession des êtres réguliers : à la place de l’organisation prédestinée, d’un arrangement conforme au<br />

type normal, c’est un autre ordre de régularités : c’est réellement une autre création que l’on peut et opposer et<br />

comparer aux développements toujours conditionnels de la première, à ces enlacements d’organes, à toutes ces<br />

formations incommutables qui composent le mouvement et qui assurent le retour périodique des productions<br />

régulières ».

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