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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

même pas une valeur. Le monstre est le contraire bien plutôt que le contradictoire du vivant.<br />

Contraire, car arrivant à un vivant, l’anomalie monstrueuse entraîne la vie de ce vivant vers<br />

une plus grande difficulté d’être en vie, voire souvent vers la non viabilité. Le monstre non<br />

viable apparaît comme l’un des plus grands scandales qui soient, puisqu’il n’est en vie que<br />

pour perdre la vie. En résumé, la mort est « la limitation par l’extérieur », la monstruosité « la<br />

limitation par l’intérieur » 1 .<br />

La monstruosité est monstrueuse en ce sens que c’est la vie qui en vient à se nier ellemême<br />

dans un vivant, de sorte que la vie – et non ce qui lui est étranger – peut être une<br />

menace accidentelle pour la vie du vivant. Parce que la régularité des formes vivantes, de<br />

même que celle des processus vitaux internes, auraient pu ne pas être, elles revêtent le sens<br />

d’une réussite et non d’un héritage : le monstre est repoussoir car il est ce qu’il ne faut pas<br />

être pour un vivant. Si donc la monstruosité est une limitation par l’intérieur, c’est-à-dire de<br />

l’intérieur même de la vie, il reste pour les vivants ce qui est le plus extérieur à eux, c’est-àdire<br />

ce qui a pour eux sens de la plus grande extériorité – la mort étant hors du sens même.<br />

Nous pouvons donc conclure que la maladie et la monstruosité sont deux valeurs<br />

négatives, mais la négativité de la première met au jour la valeur positive du vivant en vie, de<br />

sorte qu’elle se trouve incluse dans la valeur des vivants ; tandis que la seconde se révèle au<br />

final non intégrable à la vie des individus. La négation de la maladie s’effectue de l’intérieur<br />

même de la valeur des êtres vivants et sert même de soutien à cette valeur ; celle de la<br />

monstruosité se déploie de l’extérieur. Vivant et monstre ne s’opposent ainsi pas comme<br />

vivant et malade : l’opposition, dans le premier cas, est pour ainsi dire totale, car exclusive : la<br />

valeur de l’être vivant ne souffre pas d’inclure la négativité de la monstruosité – valeur<br />

repoussoir donc – ; l’opposition dans le second cas est toute relative : la valeur de l’être vivant<br />

est jusqu’à un certain point relevée par la négativité de la maladie. Ce n’est donc pas le raté<br />

morphologique en tant que tel qui porte ou enracine la reconnaissance du monstre ; c’est bien<br />

plutôt le sens que prend ce raté qui institue le monstre. Reconnaître un monstre n’est en rien<br />

enregistrer un fait (c’est de l’avoir oublié que Geoffroy Saint-Hilaire fait du monstre un fait<br />

scientifique) ; l’expérience du monstre recouvre un jugement de valeur. Mais parce que ce<br />

dernier porte sur la valeur, et parce qu’il est émis par un individu au point de vue finalement<br />

irréductible, il s’identifie à une interprétation valant évaluation. Reconnaître un monstre est<br />

juger un raté comme monstre. Mais que rate au juste le vivant qu’on évalue comme monstre ?<br />

3. Monstre et individualité<br />

Parmi les monstres, les plus fascinants – ceux qui, du moins, ont le plus fasciné les<br />

hommes, les monstres des monstres si l’on veut – sont les monstres doubles 2 . Ils incarnent le<br />

1 La connaissance de la vie, op. cit., pp. 172-173.<br />

2 « Auparavant, le monstre composé était tenu pour le monstre des monstres, car on le confrontait à la norme<br />

d’un seul individu », Canguilhem, La connaissance de la vie, op. cit., p. 180.

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