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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

l’événement ait déjà eu lieu. La réalité précède toujours sa possibilité, mais suscite,<br />

lorsqu’elle se produit, sa propre image que l’esprit va rejeter dans le passé. Nous appelons<br />

alors possible cette image, de fait rejetée dans le passé par le réel, mais que nous nous<br />

empressons immédiatement de projeter dans le présent pour expliquer la survenue du réel.<br />

Bergson peut noter ainsi « qu’il y a plus, et non pas moins, dans la possibilité de chacun des<br />

états successifs que dans leur réalité. Car le possible n’est que le réel avec, en plus, un acte de<br />

l’esprit qui en rejette l’image dans le passé une fois qu’il s’est produit » 1 .<br />

Cette illusion offre l’avantage, croit-on, de pouvoir penser la contingence : à savoir<br />

une indétermination quant à la réalisation des possibles. Et, dès lors, elle permet de réserver<br />

une place à la liberté, qui aura à choisir entre les possibles. Mais la liberté, au final, ne décide<br />

rien, puisqu’elle ne crée pas les possibles eux-mêmes. Elle ne fait qu’arranger du donné ; et il<br />

suffit qu’un seul choix ait eu lieu pour que, en droit, toutes les conséquences soient calculées :<br />

le monde des possibles enchaîne la liberté parce qu’elle la somme de se couler dans son<br />

propre ordre dans lequel tous les possibles ne sont pas en même temps tous compossibles. La<br />

voilà liée et bientôt niée. On se rassure en disant que les choses auraient pu être autrement<br />

qu’elles ne sont, mais toujours ce qui aurait pu être aurait été, de toute façon, d’autres<br />

possibles. On peut plus facilement admettre la contingence puisque, dans le fond, tout a déjà<br />

été joué : elle n’est que le pantin qui masque que tout ce qui est est au final ce qui n’aura<br />

jamais cessé d’être attendu puisqu’il fut préexistant sous la forme du possible. « Remettons le<br />

possible à sa place » 2 , à savoir comme postérieur à ce qui advient, comme image de ce qui est<br />

déjà, et nous pourrons saisir ce qu’il en est du réel : une continuelle création de nouveautés<br />

que rien ne permet d’anticiper, une succession de conflagrations originales qui imposent un<br />

remodelage constant du passé pour qu’elles puissent faire histoire. Ce n’est donc pas le<br />

présent qui subit la poussée du passé, mais bien le passé qui se recompose sans cesse, sous<br />

l’action du présent, pour venir correspondre avec lui. Vouloir penser la vie comme une<br />

puissance créatrice, vouloir penser la création de la vie, exige d’admettre que « c’est le réel<br />

qui se fait possible, et non pas le possible qui devient réel » 3 . En d’autres termes, c’est penser<br />

à l’endroit.<br />

Le concept du hasard manque ainsi de radicalité, puisqu’il repose sur la pensée à<br />

l’envers du possible. C’est le monde des vivants, imprévisibles avant qu’ils n’existent, qui<br />

projette, en deçà de la vie, cet autre monde des possibles qui lui servirait, au hasard près, de<br />

programme. La vie n’est pas de l’aléatoire, parce qu’elle n’est précédée d’aucune totalité de<br />

possibles concevables dans laquelle elle viendrait puiser ses réalisations. En ce sens, nous<br />

nous écartons de l’image du monde donnée par Lucrèce, monde qui ne serait que le produit<br />

aléatoire de la rencontre des atomes et, à ce titre, soumis au calcul des probabilités. Ce qui<br />

sort de ces rencontres est toujours quelque chose qui aurait pu être, quelque chose qui était<br />

1 Ibid., p. 110.<br />

2 Ibid., p. 114.<br />

3 Ibid., p. 115.

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