28.02.2014 Views

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

148<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

épistémologique de l’invisibilité de l’embryogenèse en conservant en lui et sur lui les vestiges<br />

du processus. Ce que P. Tort souligne à propos de Serres convient aussi aux Geoffroy Saint-<br />

Hilaire : « le désordre anatomique de l’organisation monstrueuse ne fait que traduire en<br />

espace l’ordre de la genèse de l’organisation normale, figée en l’un de ses moments » 1 . Ainsi<br />

le monstre fait-il au moins voir des effets sinon invisibles. C’est pourquoi l’embryologie peut<br />

considérer les monstruosités comme des objets privilégiés où se fait jour ce qui se joue dans la<br />

nuit de l’organisme.<br />

Néanmoins, la difficulté ne fait qu’augmenter, car nous tombons dans une sorte de<br />

cercle vicieux. En effet, si l’embryologie compte sur la tératologie pour pouvoir accéder à son<br />

matériau à partir duquel elle va pouvoir dégager les lois de l’embryogenèse, la tératologie, à<br />

son tour, compte sur l’embryologie pour pouvoir lui fournir les lois à partir desquelles elle va<br />

pouvoir définir et rendre compte des monstruosités. En d’autres termes, l’embryologie fait<br />

appel à la tératologie pour lui fournir des monstres, mais cette dernière attend des résultats de<br />

la première une définition des monstres. Chacune a besoin de l’autre pour établir ses propres<br />

résultats, de sorte qu’elles semblent se paralyser mutuellement. On pourrait cependant faire<br />

remarquer que ce n’est pas au même niveau que l’une fait appel à l’autre. La tératologie<br />

fournit une matière d’étude à l’embryologie, tandis qu’elle lui demande les principes<br />

d’intelligibilité de son objet. Toutefois, la dépendance dans laquelle chacune se trouve vis-àvis<br />

de l’autre constitue un nœud que la raison scientifique aura bien du mal à dénouer :<br />

Jusqu’à ce qu’il soit dénoué, toute recherche sur les causes des formations soit normales, soit<br />

à plus forte raison anomales, pourra conduire à quelques aperçus partiels, mais jamais à des<br />

résultats complets et entièrement satisfaisant pour l’esprit. 2<br />

La mise en lumière de ces difficultés propres à la recherche étiologique conduit à deux<br />

conséquences. La première porte sur le contenu même du chapitre qui a pour objet les causes<br />

des anomalies. Il a pour titre exact : « Des causes des anomalies en général ». A première vue,<br />

il n’est pas question de laisser sous silence les lois qui gouvernent aux processus<br />

tératologiques malgré l’« état encore si imparfait de la tératologie » 3 . Se pencher sur les<br />

causes générales des anomalies, c’est se pencher sur les lois mêmes qui les régissent, lois qui<br />

renvoient immanquablement aux lois embryogéniques. Mais c’est alors se confronter au nœud<br />

même que Geoffroy Saint-Hilaire a mis en évidence. C’est la raison pour laquelle ce chapitre<br />

est en fait un chapitre d’histoire des sciences où il n’est pas tant question de dire ce que sont<br />

les lois qui rendent intelligibles les monstruosités que de dire ce qu’elles ne sont pas. L’étude<br />

des causes générales est ainsi très largement négative, mais, à relater les hypothèses passées et<br />

les erreurs, on ne fait pas seulement qu’exposer la difficulté de la recherche, on élimine du<br />

même coup des hypothèses et des possibilités fausses. Dès lors, la recherche étiologique prend<br />

la forme d’un travail critique où se définit peu à peu le champ théorique dans lequel les<br />

hypothèses peuvent prendre de la valeur. C’est pourquoi Geoffroy Saint-Hilaire choisit le<br />

1 La raison classificatoire, Paris, Aubier, 1989, p. 153, nous soulignons.<br />

2 Ibid., III, p. 473.<br />

3 Ibid., III, p. 473.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!