Le royaume d’Icare

donne sa réplique à l’oreille de l’assistant qui annonce dans
un silence d’église :
— Échiquier quatre, le maître joue pion prend pion.
Un murmure gonfle dans la salle tel une lame de fond.
En secret de leur attitude respectueuse, un sourire moqueur
occulté, chacun espère une bévue du maître. Le «
singe spectateur » avait commenté Nilsson lors d’un souper
avant le départ de La Haye. L’attitude de l’Anglais durant
cette soirée avait choqué Bénédict. Tout en jouant des parties
rapides à l’aveugle contre le propriétaire du restaurant,
un amateur éclairé, l’Anglais discutait, détaché de tout. Si
distant qu’il voit les autres en animaux selon une mythologie
asiatique périmée. Nilsson se comporte en aristocrate égaré
dans le peuple par le mauvais sort et retrouvé miraculeusement
par un prêtre et un lord grâce à l’évidence de son génie.
Un vrai roman. La preuve pour les monarchistes de l’avantage
du bien-né, réfutant par l’exemple l’influence primordiale
du milieu social. Bénédict sourit.
En réponse au baron qui voulait qu’il s’affiche dans de
beaux habits, Kolarov avait répondu :
— Vais-je devoir porter une perruque
La femme de Dumoulin en était pliée en deux.
La demande de confirmation du préposé aux échiquiers
ramène Ducrocq au présent. L’homme vient d’activer un
protocole secret de communication conçut par Bénédict. En
clair, on avertit le maître qu’il a commis une bourde. Il devra
rectifier la position mentalement puis trouver une réplique.
L’assistant confirmera que le maître avait mal compris le
coup de son adversaire.
— Vous pensez en politicien russe, avait commenté Kolarov
quand il lui avait proposé ce garde-fou.
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