Le royaume d’Icare

La question amuse Feuerbach.
— Et vous n’oubliez pas
— Vous, monsieur, vous rappelez-vous vos lectures
— Pas de tout. Les idées générales bien sûr, certaines expressions.
Pas vous
— Je n’oublie pratiquement rien.
— Vous avez reçu un don, John.
— Peut-être, mais j’aimerais que vous puissiez faire l’expérience
de ce don avant de juger des bienfaits de l’offrande.
Plus j’assimile, moins je dors, et ça me donne des migraines.
Ce que je gagne d’un côté je le perds de l’autre, souffrances
en sus.
— À la suite de telles séances de lecture, c’est compréhensible.
Lisez moins vite. Sinon, reposez- vous après. Le faitesvous
— Non. Les migraines surviennent les jours qui suivent,
mais pas toujours. Plus rapidement après une exhibition à
l’aveugle.
Joseph se rassoit droit et remet le cigare dans sa bouche
tandis que Nilsson avale un dernier bout de croissant aux
framboises. John a expliqué au champion qu’un cuisinier
français avait créé le « croissant » le matin suivant la victoire
du roi de France contre les Sarrasins.
Feuerbach revoit John les yeux bandés, si frêle dos aux
vingt échiquiers alignés. Les joueurs d’expérience n’avaient
pas droit de participation.
— Votre simultanée à Berlin nous a tous impressionnés.
Je peux faire quelques parties sans voir les échiquiers, mais
vingt...
201