Le royaume d’Icare

Vivres et vêtements sont distribués, les habitations retapées,
la vie reprend telle la forêt, à même les cendres. Bjelica
reçoit une invitation d’Angleterre. Lord Bennett organise un
tournoi pour tester quatre « prospects ». Un paquebot le mènera
en Angleterre via Gdansk et Copenhague. Aller-retour
en première classe. Le souvenir d’un certain sir Bennett lui
est agréable. Un amateur de grands vins et une épouse exquise.
La nouvelle Europe est étrangère au Polonais. Elle le
renvoie à sa propre solitude. La guerre est disparue des
consciences aussi rapidement qu’elle était apparue. Chacun
s’occupe du son quotidien. Enfermé dans des cafés, absorbé
par l’échiquier puis terré au village, Bjelica n’a pas vu apparaître
les nouvelles manières de faire et de penser dont les
technologies nouvelles ont moulé le quotidien. Un décor
dont les glaces et les cuivres sans taches démultiplient le
luxe. La dolce vita, le mensonge vrai. Derrière ce confort insouciant
dorment haine et cupidité. L’âme de la guerre, c’est
l’aveu du rejet de l’autre exalté jusqu’à l’homicide pour piller
son bonheur. Quand nos bas instincts refont surface, alors
sifflent les injures et les balles.
Si la guerre affecte moins les riches, la grippe est plus démocratique,
constate le Polonais. L’influenza court l’Europe.
À l’aller, il cueille l’inquiétude de la fièvre; …
Bjelica est le seul à ne pas être au courant, semble-t-il. Il se
fait pratique. Si les microbes sont invisibles, à quoi sert-il de
s’énerver. En approchant Copenhague, ils croisent trois navires
en quarantaine. D’un transporteur allemand, on descend
des cadavres dans la bâche d’un chalutier.
À Londres, chacun compare ses pertes avec une compassion
comptable. Jouer aux échecs lui parait soudain futile. Il
aurait connu un tournoi misérable si l’intelligence du jeune
Nilsson ne l’avait réveillé. Un orphelin. Les trois autres
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