Le royaume d’Icare

taine de secondes pour se concentrer. Les militaires l’ont
testé, chronomètre en main. Le procédé fonctionne à merveille
pour l’entraîneur qui reçoit les parties de son élève
par courrier redirigé. John gagne régulièrement ses duels
échiquéens. Quelques parties et annotations fictives transmettent
sous forme codée les données recueillies par Nilsson.
Quand le Haut Commandement avait demandé à sir Bennett
si leur joueur était crédible, il avait répondu sur ce ton
aristocratique châtié teinté d’humour typiquement anglais :
— Si vous voulez un maître de premier plan, accordez-moi
six mois de plus.
Après avoir passé des mois dans les villes et les ports de
l’ouest et du nord du pays, John arrive enfin à Berlin. Il s’attable
dans un café pour surveiller un immense entrepôt tout
en mangeant. Du coin de l’œil, il repère un visage qui taquine
sa mémoire. Un homme âgé, seul devant un échiquier.
Court, un peu trapu, mal rasé, qui cultive une grosse moustache
sous son long nez. Des yeux noirs qui brillent comme
des boules ont accroché son regard. John engage la conversation
puis un duel échiquéen, non sans avoir dû miser un
gros billet. L’homme a sorti une horloge double d’un sac; ils
jouent en blitz. John a joué des parties éclair avec sir Bennett,
chaque joueur disposant de cinq minutes. Il s’avéra que
l’âge de l’instructeur et les capacités mentales de l’élève trichaient
avec la logique du savoir. John apprend à gagner au
temps en jouant plus vite que bien. Les parties lentes furent
plus instructives.
Ce jour-là au café, non seulement l’homme le bat, il lui
prodigue même de judicieux conseils, confiant son étonnement
devant la qualité des coups du jeune homme. Dès l’ouverture
de la deuxième partie, John a replacé ces yeux sur un
des visages de la photo des participants et arbitres du tournoi
tenu à Hasting en 1890, presque vingt-huit ans plus tôt.
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