Le royaume d’Icare

— L’éternité est hors du temps, fräulein, imperméable
à l’usure, étrangère à la notion de durée des physiciens. Ce
n’est pas le chemin qui compte mais la raison du voyage.
— Pourquoi avons-nous été créés alors
— Chacun de nous, chaque objet, chaque phénomène
présent, passé ou futur ne constitue qu’une infime partie,
qu’un bref instant de Son auto-création. Nous sommes en
Dieu pour la simple raison que nous sommes d’infimes et
temporaires moments d’Elle en éclosion. Dieu s’accouche
Elle-même. Mystère cela demeure pour notre intelligence
humaine. Mais aussi minuscule soit-on, nous sommes tous
nécessaires, sinon nous n’existerions pas.
— C’est magnifique.
Le théologien scrute l’aînée des Feuerbach, pensive. J’ai
trouvé une de tes sœurs, mère. Pas une fausse sœur, « ce fruit
séché qui se conserve pour un voyage où se nourrir est impertinent
». Une « Grâcieuseté », comme les étiquetait Ingrid,
se remémorant les commentaires lapidaires de la mère
de Jonathan pour ce dernier.
Cherchant son compartiment, Boey avait aperçu une jolie
demoiselle blonde, nez à la vitre. Bianca Il l’avait à peine remarquée
l’an dernier à Berlin. Plus enfant dans son souvenir.
À côté d’elle, Joseph Feuerbach avait avancé la tête, curieux
de cette ombre immobilisée. Sur la banquette opposée, l’orchidée
noire, reconnaissant le théologien, avait soudé de
surprise ses yeux sombres aux siens. Jonathan l’apercevait
de temps à autre dans la salle du tournoi à Berlin. Elle détournait
vivement la tête à chaque occasion, avouant l’épier.
La solitude incarnée. Hanna, un nom fruité pourtant.
— Hanna!
Son père leur fait signe tout en pointant deux voitures
qu’ils viennent de dépasser.
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