Le royaume d’Icare

Il fait jour. Jonathan Boey se lève et s’étire péniblement.
De taille moyenne, mince et de nature nerveuse, à vingt-sept
ans il en paraît aisément trente. Un visage marqué par de
longues mèches rebelles brunes comme les soleils sombres
de ses yeux. Neuf heures approche à l’horloge de la gare.
L’ombre d’un clocher d’église s’allonge jusqu’au banc où il a
créché cette nuit, ayant trop bu, pour ne pas rater le train.
Voilà pourquoi le soleil ne l’a pas réveillé. Une humiliante
séance d’hygiène l’attend donc à la fontaine attenante à la
gare. Procéder en vitesse avant qu’un gendarme ne s’amène
questionner cette misère exposée aux yeux d’innocents citoyens.
Immonde sera la bête engendrée. Une hydre possédant
des milliers de têtes et pourtant aucune. Toutes jugeront, aucune
ne comprendra.
Quand le génie de la bouteille n’est plus et que seuls des relents
d’alcool persistent, jaillissent en l’esprit du Hollandais
des passages de son œuvre.
Il s’arrête de marcher, vacillant. Manger. À la fontaine, il
doit soutenir un levier de la main gauche tandis qu’il s’asperge
maladroitement de l’autre. Il mouille son pantalon.
On va croire qu’il a uriné dessus. Le pouvoir de créer se transformera
en simple pouvoir de gérer. L’âme sera jaugée à sa matière,
la vie par l’inerte. Les fleurs seront mises en pots, offertes
en ornement aux maîtres du pouvoir. Il se met en route pour
la cantine.
Tout ivrogne qui se respecte, sait Jonathan, doit éviter
trois vices de « forme ». D’abord une haleine qui avoue
trop d’alcool. Ensuite des vêtements fripés qui trahissent
une nuit à la belle étoile, donc fauché. Puis d’être échevelé,
ce qu’il corrige en marchant, les mains en guise de peigne.
Pour cacher les signes de ce que la langue anglaise appellent
étrangement un hang over.
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