Le royaume d’Icare

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— Qu’y a-t-il de changé une fois le pion poussé
— Ce que cela change, demandez-vous, sir Quelle étrange
question. (Il s’accoude à la table.) Eh bien… ça libère le fou
et la dame des blancs… tout en bloquant la poussée du pion
dame adverse.
— Bien. Mais pour connaître les conséquences d’un geste,
pas simplement ce qu’on gagne à première vue, nous devons
observer attentivement ce qu’il modifie à l’équilibre de départ.
Les yeux noirs de Feuerbach brillent. Une petite brise
menace d’emporter le journal. Sans y porter attention, John
l’immobilise d’un doigt. Les rayons matinaux transpercent
le feuillage des arbres. Un concert de piaillements s’interrompt
l’instant de quelque chose dans les buissons. L’Anglais
lève la tête, contemple le jardin. Aube, symbole de la pensée
qui s’éveille à soi. Présent, enfin. John vient de retrouver sa
conscience d’exister, laissée en consigne à la gare de Londres.
— La colonne roi s’allonge pour les blancs et raccourcit
pour les noirs.
Le doigt parcourant l’espace entre le roi blanc et le pion
poussé, la voix du champion entonne son cantique :
— Les cases blanches sont attaquées en dame et fou cinq.
La case devant le roi se libère, mais celle en quatre par contre
est désormais occupée.
Ce faisant, Feuerbach pointe ces cases d’un doigt auquel
Nilsson remarque une bague. Jamais avant, il en est certain,
le champion n’a porté de bague. Une odeur de soupe lui revient.
L’image fugace du père Thomas, son volumineux index
sur l’échiquier.
— La quatrième traverse est coupée en deux, poursuit l’Allemand,
le doigt glissant sur les deux portions d’échiquier,
sautant par-dessus le pion roi poussé.