Le royaume d’Icare

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Gare du Havre, huit heure onze
Au quai d’embarquement, les bras croisés, John Nilsson
observe la foule s’engouffrer dans les wagons. Il a passé la
journée d’hier près du port dans le rappel du passé à la suite
d’une remarque de Bennett.
— Il aimerait voir ce qu’est devenu ce jeune homme maigre
qui allait à la guerre avec un jeu d’échecs sans se soucier des
sous-marins.
Perdu dans le fouillis des moutons qui s’agitent et s’inquiètent
des meilleurs pâturages où brouter un sommeil vitré,
l’Anglais filiforme attend son pré négligé. Il y trouvera
au moins la tranquillité. Un obèse le bouscule. Le train, c’est
le transport en troupeau; on y devient bovin de mentalité.
Jamais seul ni vraiment chez soi. L’homme dont parlait lord
Bennett est le capitaine du navire norvégien qui avait cueilli
John en Angleterre quand il était parti en mission.
Le train s’amène. À chaque fois le souvenir resurgit avec
force.
Le trajet entre Heide et Hambourg est peu emprunté de
nuit. Des militaires en permission grondent contre la guerre
sous la lumière blafarde, dans un nuage de fumée de cigarettes
et d’odeurs d’hommes. John s’est installé dans un coin
avec le journal local. Il est seul, loin de chez lui, sa sœur est
internée, c’est la guerre et il n’a pas encore dix-huit ans. Les
militaires ont travaillé son personnage de joueur en deuil
avec décor et acteurs. Lord Bennett a fait de lui un adversaire
aguerri.
À la vue des côtes allemandes après des mois de préparation,
le jeune Nilsson avait été saisi d’angoisse d’avoir à entrer
en scène. Une première ne se simule pas. Dans le train,
la nuit venue, ses parents lui manquèrent terriblement. Re-
«