Le royaume d’Icare

— Certains rouages sont complexes. Si je pousse un pion à
l’aile roi, ça peut modifier la force d’un cavalier à l’aile dame.
— Comme dans la française d’avance.
— Tout-à-fait, Samuel. Si je mange bien, j’ai les idées plus
claires et une meilleure concentration. Alors je m’exprime
mieux et je suis plus calme, je me fais plus d’amis.
— J’ai compris. C’est une comptabilité de la vie par colonnes.
— Pas tout-à-fait, Samuel. Il serait plus pertinent de parler
d’une estimation. Si je pouvais formuler l’algorithme de ma
vie, le résultat global de mes actions se résumerait à une valeur
numérique. Elle sera meilleure ou pire selon mes choix
de vie, un peu comme les actions à la bourse. Un panier d’actions
choisies permet de prendre le pouls de l’économie. Il
s’agit d’un algorithme.
— L’indice boursier est approximatif. Aux échecs, il faut
être rigoureux.
— L’algorithme n’en serait que plus fiable. Les coups sur
l’échiquier sont plus aisés à évaluer que le rendement de
l’économie, il me semble. Mais le calcul serait trop long à
exécuter. L’esprit humain va plus vite. À cause du jugement.
Moment de silence. Retour au murmure de la vie, des
conversations, du choc des ustensiles. Hackerman est songeur.
Il n’a qu’une parodie d’éducation. Comptabilité, écriture
et lecture des textes sacrés suffirent à contenter la famille.
Le pouvoir de la connaissance, celle qu’on acquiert
à l’université surtout, relève pour lui de la magie, quelque
chose de compliqué et de redoutable. La réponse de Feuerbach
le touche :
— Qu’on puisse exécuter ce calcul m’importe peu, c’est sa
possibilité d’existence qui m’intéresse.
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