Le royaume d’Icare

— Oui, mais l’autre cavalier reprend. Les noirs obtiennent
la paire de fous et de l’espace de manœuvre.
— Par contre, la dame noire doit être replacée.
— La perte de temps me semble négligeable.
— C’est aussi mon avis.
— Alors il faut …
Le temps se fige. Le jugement des hommes s’engage dans
une jungle de variantes. John est un agréable compagnon
d’analyse. Il découvre les finesses tactiques à toute vitesse.
Frank n’a qu’à guider le navire, replaçant une pièce quand
une accalmie le permet. Le banquier privilégie ces trêves où,
tout en conservant ses intentions belliqueuses, on peut reprendre
son souffle plutôt que d’assurer un profit modeste
en liquidant la tension. Ces coups d’expérience échappent au
jeune Anglais, qui mise sur des finales parfois capricieuses.
Tout en analysant, John s’imprègne de la mentalité
de l’Américain. Les espoirs de combinaisons et les escarmouches
du moment ne semblent pas distraire l’Américain
de sa quête d’un but lointain. Le banquier ne calcule pas, il
investit un futur incertain grâce à un calcul. En homme d’affaires,
avec la sagesse du déjà vu. Plus fort que Charles James.
John lève la tête, Reeves le regarde, les yeux brillants. Une
loutre de mer.
La densité des poils sur la peau d’une loutre est telle que
toute la fourrure d’un loup ne suffirait à couvrir son visage.
La loutre de mer peut nager en plein hiver dans l’eau glacée
sans souffrir le moindrement du froid. John a glané ces informations
dans un bulletin scientifique américain que reçoivent
les universités anglaises. Membre officiel de l’équipe
d’échecs de Cambridge, il reçoit gratuitement divers magazines
spécialisés à titre de chercheur affilié, un tour de magie
de Charles James, semble-t-il.
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