Le royaume d’Icare

Le fils est le portrait aminci de son père. À leur première rencontre
au Kaffe Koenig, la ressemblance avait frappé Feuerbach.
L’atmosphère du pub anglais avec les joueurs attablés
avait surgi, vivace, pour s’évanouir aussitôt. Les autorités
anglaises eurent la gentillesse de lui répondre. Il s’agissait
malheureusement de Bjor Nilsson et de son épouse, décédés
à la suite d’un attentat en Afrique du Sud.
Dans les veines du jeune joueur circule le talent inexploré
du père. Les succès de John avaient permis au champion de
le revoir. Suivant sa recommandation, les organisateurs de
Berlin avaient invité Nilsson, et en septembre dernier Joseph
Feuerbach attendait le jeune homme à la gare. Ils ne
s’étaient pas revus depuis la guerre mais Joseph avait reçu
toutes les parties du prodige anglais, gracieuseté d’Itchkoff
qui commentait ce talent surgit des nues. Quelques jours
avant qu’une perte d’équilibre de Jessica ne commence à
l’inquiéter.
Orphelin depuis un si jeune âge, John voudrait s’abreuver
de souvenirs, s’est convaincu le champion. Or, il ne possède
pour tout trésor qu’une anecdote que l’évocation du jeu de
Go a failli révéler. Le cœur chamboulé, Joseph scelle ses
lèvres d’un cigare éteint.
Le soleil atteint maintenant la cime des arbres dans le jardin,
éclaboussant le balcon de lumière. Pensées cachées et
jeu frappé d’interdit permutent les images, ouvrant une fenêtre
sur le passé.
— Quand j’étais jeune homme, je jouais beaucoup et mon
père craignait pour mes études. J’étais inscrit à la faculté de
mathématiques et il voulait que je me concentre sur mes
études.
— Vous avez obtenu un doctorat et enseigné à l’université.
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